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EN FAMILLE.

faisait marcher les enfants placés sous ses ordres, rondement, rudement, toujours grondant, bougonnant, criant, jurant, car le travail de ces machines est assez pénible, demandant autant d’attention de l’œil que de prestesse de la main pour enlever les cannettes pleines, les remplacer par d’autres vides, rattacher les fils cassés, et il était convaincu que s’il ne jurait pas et ne criait pas continuellement, en appuyant chaque juron d’un vigoureux coup du pilon de sa jambe de bois appliqué sur le plancher, il verrait ses broches arrêtées, ce qui pour lui était intolérable. Mais comme, au fond, il était bon homme, on ne l’écoutait guère, et, d’ailleurs, une partie de ses paroles se perdait dans le tapage des machines.

« Avec tout ça, tes broches sont arrêtées ! cria-t-il à Rosalie en la menaçant du poing.

— C’est-y ma faute ?

— Mets-toi au travail pus vite que ça. »

Puis, s’adressant à Perrine :

« Comment t’appelles-tu ? »

Comme elle ne voulait pas donner son nom, cette demande qu’elle aurait dû prévoir, puisque la veille Rosalie la lui avait posée, la surprit, et elle resta interloquée.

Il crut qu’elle n’avait pas entendu et, se penchant vers elle, il cria en frappant un coup de pilon sur le plancher :

« Je te demande ton nom. »

Elle avait eu le temps de se remettre et de se rappeler celui qu’elle avait déjà donné :

« Aurélie, dit-elle.

— Aurélie qui ?

— C’est tout.