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EN FAMILLE.

l’incendie, jusqu’au moment où Talouel vint annoncer à M. Vulfran que sur les six enfants qu’on croyait morts, trois avaient été retrouvés en bonne santé chez des voisins, où on les avait portés dans le premier moment d’affolement : il n’y avait donc réellement que trois victimes, dont l’enterrement venait d’être fixé au lendemain.

Quand Talouel fut parti, Perrine, qui depuis le retour à l’usine était restée plongée dans une réflexion profonde, se décida à adresser la parole à M. Vulfran :

« N’irez-vous pas à cet enterrement ? demanda-t-elle avec un frémissement de voix, qui trahissait son émotion.

— Pourquoi irais-je ?

— Parce que ce serait votre réponse — la plus digne que vous puissiez faire — aux accusations de cette pauvre femme.

— Mes ouvriers sont-ils venus au service célébré pour mon fils ?

— Ils ne se sont pas associés à votre douleur : vous vous associez à celles qui les atteignent, c’est une réponse aussi cela, et qui serait comprise.

— Tu ne sais pas combien l’ouvrier est ingrat.

— Ingrat pourquoi ? Pour l’argent reçu ? C’est possible ; et cela vient peut-être de ce qu’il ne considère pas l’argent reçu au même point de vue que celui qui le donne ; n’a-t-il pas des droits sur cet argent qu’il a gagné lui-même ? Cette ingratitude-là existe peut-être telle que vous dites. Mais l’ingratitude pour une marque d’intérêt, pour une aide amicale, croyez-vous qu’elle soit la même ? C’est l’amitié qui fait naître l’amitié. On aime ceux dont on se sent aimé ; et il me semble que si nous nous faisons l’ami des autres, nous faisons des