Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
229
SANS FAMILLE

Sans répondre, je soulevai un peu la couverture, et montrant Joli-Cœur qui avait posé son petit bras autour de mon cou :

— C’est lui qui est malade, dis-je.

Le médecin avait reculé de deux pas en se tournant vers Vitalis :

— Un singe ! criait-il, comment, c’est pour un singe que vous m’avez dérangé et par un temps pareil !

Je crus qu’il allait sortir indigné.

Mais c’était un habile homme que notre maître et qui ne perdait pas facilement la tête. Poliment et avec ses grands airs il arrêta le médecin. Puis il lui expliqua la situation : comment nous avions été surpris par la neige, et comment par la peur des loups, Joli-Cœur s’était sauvé sur un chêne où le froid l’avait glacé.

— Sans doute le malade n’était qu’un singe ; mais quel singe de génie ! et de plus un camarade, un ami pour nous ! Comment confier un comédien aussi remarquable aux soins d’un simple vétérinaire ! Tout le monde sait que les vétérinaires de village ne sont que des ânes. Tandis que tout le monde sait aussi que les médecins sont tous, à des degrés divers, des hommes de science ; si bien que dans le moindre village on est certain de trouver le savoir et la générosité en allant sonner à la porte du médecin. Enfin, bien que le singe ne soit qu’un animal, selon les naturalistes, il se rapproche tellement de l’homme que ses maladies sont celles de celui-ci. N’est-il pas intéressant, au point de vue de la science et de l’art, d’étudier par où ces maladies se ressemblent ou ne se ressemblent pas ?