Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
293
SANS FAMILLE

— Tu l’as vu, Benjamin ?

— Je crois bien, il marchait sur les talons des porteurs, la tête basse, et de temps en temps il sautait sur le brancard, puis quand on le faisait descendre, il poussait un cri plaintif, comme un hurlement étouffé.

Pauvre Capi ! lui qui tant de fois avait suivi, en bon comédien, l’enterrement pour rire de Zerbino, en prenant une mine de pleureur, en poussant des soupirs qui faisaient se pâmer les enfants les plus sombres…

Le jardinier et ses enfants me laissèrent seul, et sans trop savoir ce que je faisais, et surtout ce que j’allais faire, je me levai.

Ma harpe avait été déposée aux pieds du lit sur lequel on m’avait couché, je passai la bandoulière autour de mon épaule, et j’entrai dans la pièce où le jardinier était entré avec ses enfants. Il fallait bien partir, pour aller où ?… je n’en avais pas conscience, mais je sentais que je devais partir… et je partais.

Dans le lit, en me réveillant, je ne m’étais pas trouvé trop mal à mon aise, courbaturé seulement, avec une insupportable chaleur à la tête ; mais, quand je fus sur mes jambes, il me sembla que j’allais tomber, et je fus obligé de me retenir à une chaise. Cependant, après un moment de repos, je poussai la porte et me retrouvai en présence du jardinier et de ses enfants.

Ils étaient assis devant une table, auprès d’un feu qui flambait dans une haute cheminée, et en train de manger une bonne soupe aux choux.