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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/302

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SANS FAMILLE

L’odeur de la soupe me porta au cœur et me rappela brutalement que je n’avais pas dîné la veille ; j’eus une sorte de défaillance et je chancelai. Mon malaise se traduisit sur mon visage.

— Est-ce que tu te trouves mal, mon garçon ! demanda le jardinier d’une voix compatissante.

Je répondis qu’en effet je ne me sentais pas bien, et que si on voulait le permettre je resterais assis un moment auprès du feu.

Mais ce n’était plus de chaleur que j’avais besoin, c’était de nourriture ; le feu ne me remit pas, et le fumet de la soupe, le bruit des cuillers dans les assiettes, le clappement de langue de ceux qui mangeaient, augmentèrent encore ma faiblesse.

Si j’avais osé, comme j’aurais demandé une assiettée de soupe, mais Vitalis ne m’avait pas appris à tendre la main, et la nature ne m’avait pas créé mendiant ; je serais plutôt mort de faim que de dire « j’ai faim ». Pourquoi, je n’en sais trop rien ? si ce n’est parce que je n’ai jamais voulu demander que ce que je pouvais rendre.

La petite fille au regard étrange, celle qui ne parlait pas et que son père avait appelée Lise, était en face de moi, et au lieu de manger elle me regardait sans baisser ou détourner les yeux. Tout à coup elle se leva de table, et prenant son assiette qui était pleine de soupe, elle me l’apporta et me la mit sur les genoux.

Faiblement, car je n’avais plus de voix pour parler, je fis un geste de la main pour la remercier, mais son père ne m’en laissa pas le temps.