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SANS FAMILLE

— Accepte, mon garçon, dit-il, ce que Lise donne est bien donné ; et si le cœur t’en dit, après celle-là une autre.

Si le cœur m’en disait ! L’assiette de soupe fut engloutie en quelques secondes. Quand je reposai ma cuiller, Lise, qui était restée devant moi me regardant fixement, poussa un petit cri qui n’était plus un soupir cette fois, mais une exclamation de contentement. Puis, me prenant l’assiette, elle la tendit à son père pour qu’il la remplît, et quand elle fut pleine, elle me la rapporta avec un sourire si doux, si encourageant que, malgré ma faim, je restai un moment sans penser à prendre l’assiette.

Comme la première fois, la soupe disparut promptement ; ce n’était plus un sourire qui plissait les lèvres des enfants me regardant, mais un vrai rire qui leur épanouissait la bouche et les lèvres.

— Eh bien ! mon garçon, dit le jardinier, tu es une jolie cuiller.

Je me sentis rougir jusqu’aux cheveux ; mais après un moment je crus qu’il valait mieux avouer la vérité que de me laisser accuser de gloutonnerie, et je répondis que je n’avais pas dîné la veille.

— Et déjeuné ?

— Pas déjeuné non plus.

— Et ton maître ?

— Il n’avait pas mangé plus que moi.

— Alors il est mort autant de faim que de froid.

La soupe m’avait rendu la force ; je me levai pour partir.

— Où veux-tu aller ? dit le père.