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SANS FAMILLE

apportent sur les marchés aux mois d’avril et de mai. La seule habileté nécessaire au jardinier qui cultive les giroflées, est celle qui consiste à choisir des plantes à fleurs doubles, car le monde repousse les fleurs simples. Or, comme les graines qu’on sème donnent dans une proportion à peu près égale des plantes simples et des plantes doubles, il y a un intérêt important à ne garder que les plantes doubles ; sans cela on serait exposé à soigner chèrement cinquante pour cent de plantes qu’il faudrait jeter au moment de les voir fleurir, c’est-à-dire après un an de culture. Ce choix se nomme l’essimplage et il se fait à l’inspection de certains caractères qui se montrent dans les feuilles et dans le port de la plante. Peu de jardiniers savent pratiquer cette opération de l’essimplage et même c’est un secret qui s’est conservé dans quelques familles. Quand les cultivateurs de giroflées ont besoin de faire leur choix de plantes doubles, ils s’adressent à ceux de leurs confrères qui possèdent ce secret, et ceux-ci « vont en ville », ni plus ni moins que des médecins ou des experts, donner leur consultation.

Le père était un des plus habiles essimpleurs de Paris ; aussi au moment où doit se faire cette opération, toutes ses journées étaient-elles prises. C’était alors pour nous et particulièrement pour Étiennette notre mauvais temps, car entre confrères on ne se visite pas sans boire un litre, quelquefois deux, quelquefois trois, et quand il avait ainsi visité deux ou trois jardiniers, il rentrait à la maison la figure rouge, la parole embarrassée et les mains tremblantes.