Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
331
SANS FAMILLE

— Oh ! mes pauvres enfants ! s’écria-t-il en levant la tête à notre approche, qui lui avait été signalée par le bruit du verre que nous écrasions sous nos pas, oh ! mes pauvres enfants !

Et, prenant Lise dans ses bras, il se mit à pleurer sans ajouter un mot.

Qu’aurait-il dit ?

C’était un désastre ; mais, si grand qu’il fût aux yeux, il était plus terrible encore par ses conséquences.

Bientôt j’appris par Étiennette et par les garçons combien le désespoir du père était justifié. Il y avait dix ans que le père avait acheté ce jardin et avait bâti lui-même cette maison. Celui qui lui avait vendu le terrain lui avait aussi prêté de l’argent pour acheter le matériel nécessaire à son métier de fleuriste. Le tout était payable ou remboursable, en quinze ans, par annuités. Jusqu’à cette époque, le père avait pu payer régulièrement ces annuités, à force de travail et de privations. Ces payements réguliers étaient d’autant plus indispensables, que son créancier n’attendait qu’une occasion, c’est-à-dire qu’un retard, pour reprendre terrain, maison, matériel, en gardant, bien entendu, les dix annuités qu’il avait déjà reçues : c’était même là, paraît-il, sa spéculation, et c’était parce qu’il espérait bien qu’en quinze ans, il arriverait un jour où le père ne pourrait pas payer, qu’il avait risqué cette spéculation, pour lui sans danger, — tandis qu’elle en était pleine, au contraire, pour son débiteur.

Ce jour était enfin venu, grâce à la grêle.