— Et si nous ne trouvons personne à l’auberge du Gros-Chêne !
— Alors tant mieux, nous serons libres.
— Si je quitte la famille Driscoll, ce ne sera pas ainsi : d’ailleurs crois-tu qu’ils ne nous auraient pas bien vite rejoints ? où veux-tu aller avec ton pied ?
— Eh bien ! nous partirons, si tu le veux, demain ; mais ne pars pas ce soir, j’ai peur.
— De quoi ?
— Je ne sais pas, j’ai peur pour toi.
— Laisse-moi aller, je te promets de revenir demain.
— Et si l’on te retient ?
— Pour qu’on ne puisse pas me retenir, je vais te laisser ma harpe ; il faudra bien que je revienne la chercher.
Et malgré la peur de Mattia, je me mis en route n’ayant nullement peur moi-même.
De qui, de quoi, aurais-je eu peur ? Que pouvait-on demander à un pauvre diable comme moi ?
Cependant si je ne me sentais pas dans le cœur le plus léger sentiment d’effroi, je n’en étais pas moins très-ému : c’était la première fois que j’étais vraiment seul, sans Capi, sans Mattia, et cet isolement m’oppressait en même temps que les voix mystérieuses de la nuit me troublaient : la lune aussi qui me regardait avec sa face blafarde m’attristait.
Malgré ma fatigue, je marchai vite et j’arrivai à la fin à l’auberge du Gros-Chêne ; mais j’eus beau chercher nos voitures, je ne les trouvai point ; il y avait deux ou trois misérables carrioles à bâche de toile,