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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/357

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SANS FAMILLE

enfermé j’étais tourmenté, enfiévré par une question que je me posais sans lui trouver une réponse :

— Quand le magistrat m’interrogerait-il ? Quand pourrais-je me défendre ?

J’avais entendu raconter des histoires de prisonniers qu’on tenait enfermés pendant des mois sans les faire passer en jugement ou sans les interroger, ce qui pour moi était tout un, et j’ignorais qu’en Angleterre il ne s’écoulait jamais plus d’un jour ou deux entre l’arrestation et la comparution publique devant un magistrat.

Cette question que je ne pouvais résoudre fut donc la première que j’adressai au geôlier qui n’avait point l’air d’un méchant homme, et il voulut bien me répondre que je comparaîtrais certainement à l’audience du lendemain.

Mais ma question lui avait suggéré l’idée de me questionner à son tour ; puisqu’il m’avait répondu, n’était-il pas juste que je lui répondisse aussi ?

— Comment donc êtes-vous entré dans l’église ? me demanda-t-il.

À ces mots je répondis par les plus ardentes protestations d’innocence ; mais il me regarda en haussant les épaules ; puis comme je continuais de lui répéter que je n’étais pas entré dans l’église, il se dirigea vers la porte et alors me regardant :

— Sont-ils vicieux ces gamins de Londres ? dit-il, à mi-voix.

Et il sortit.

Cela m’affecta cruellement : bien que cet homme ne fût pas mon juge, j’aurais voulu qu’il me crût inno-