Page:Malot - Sans famille, 1902.djvu/37

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Barberin releva mon pantalon.

– Trop minces, dit le vieillard.

– Et ses bras ? continua Barberin.

– Les bras comme les jambes ; ça peut aller ; mais ça ne résisterait pas à la fatigue et à la misère.

– Lui, ne pas résister ; mais tâtez donc, voyez, tâtez vous-même.

Le vieillard passa sa main décharnée sur mes jambes en les palpant, secouant la tête et faisant la moue.

– C’est un enfant comme il y en a beaucoup, dit le vieillard, voilà la vérité, mais un enfant des villes : aussi est-il bien certain qu’il ne sera jamais bon à rien pour le travail de la terre ; mettez-le un peu devant la charrue à piquer les bœufs, vous verrez combien il durera.

– Dix ans.

– Pas un mois.

– Mais voyez-le donc.

– Voyez-le vous-même.

J’étais au bout de la table entre Barberin et le vieillard, poussé par l’un, repoussé par l’autre.

– Enfin, dit le vieillard, tel qu’il est je le prends. Seulement, bien entendu, je ne vous l’achète pas, je vous le loue. Je vous en donne vingt francs par an.

– Vingt francs !

– C’est un bon prix et je paye d’avance : vous touchez quatre belles pièces de cent sous et vous êtes débarrassé de l’enfant.

– Mais si je le garde, l’hospice me payera plus de dix francs par mois.