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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/115

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INTRODUCTION

M. Demogeot, ennoblit le peuple en s’exprimant ; elle lui parla une langue digne de ses destinées futures, et lui reconnut, comme prélude ou comme complément de ses autres droits, son droit à la poésie. Plusieurs des chansons patriotiques de notre poète, un grand nombre de ses chansons morales sont de véritables odes. L’antiquité n’a rien de plus beau que Mon Âme, le Dieu des bonnes gens, le Cinq Mai. La Bonne Vieille, Mon Habit égalent en grâce touchante certaines odes célèbres d’Horace, et aucune littérature n’a rien de comparable à cette foule de malins couplets politiques, dont on peut apprécier diversement la tendance, mais non l’inimitable perfection. Cet élan lyrique, cette délicatesse de sentiment, cette verve d’esprit, Béranger a su les rendre populaires, et les graver dans la mémoire des artisans de nos villes, de manière à pouvoir, seul de tous nos poètes, se passer au besoin, du secours de la presse. »

La poésie légère et tous les genres inférieurs ont été cultivés par des écrivains nombreux. Chapelle, Collé, Mme Deshoulières, Bachaumont, Scarron, Dorat, Laujon, etc., ont tous des mérites différents ; et si nous faisions autre chose qu’une statistique littéraire, ils nous fourniraient des sujets d’étude intéressants.

Les prosateurs sont plus nombreux encore. Calvin, le propagateur de la Réforme en France, et dont les écrits sont par leur netteté et leur vigueur de style un des premiers monuments de notre littérature. C’est au roi François Ier qu’il dédia son Institution de la Religion chrétienne, « l’œuvre la plus importante qu’eût produite encore la Réforme. » Calvin n’avait alors que vingt-six ans. Amyot porta dans la traduction l’originalité la plus marquée, au point de faire illusion à la postérité sur le vrai caractère des écrivains qu’il a traduits. « Il a en quelque sorte créé Plutarque : il nous l’a donné plus vrai, plus complet que ne l’avait fait la nature. »

Viennent ensuite les écrivains qui comblent l’intervalle jusqu’au xviie siècle : Budé, Charron, le disciple de Montaigne et souvent son copiste ; Pasquier, Rollin, ainsi caractérisé par Montesquieu : Un honnête homme qui, par ses ouvrages, a enchanté le public. « C’est, dit-il, le cœur qui parle au cœur ; on sent une secrète satisfaction d’entendre parler de la vertu. C’est l’abeille de la France. » Citons en passant les travaux historique de l’abbé Fleury et du président Hénault ; les plaidoyers éloquents de Jean Boucher, des Cuchin, des Patru, et les savantes publications de Robert et de Henri Estienne. Les grammairiens, les critiques, tels que Gui Patin, Restaut, l’abbé d’Aubignac, Bouhours, Furetières, Lancelot ; les historiens de second ordre, Du Cange, Gaillard, Charlevoix, l’abbé Dubos, Quesnay, Bailly, Rulhières, Letronne, le président de Thou, Crevier, Lebeau, de Tillemont, malgré leur science et leurs immenses recherches, sont cependant, par la nature même de leurs ouvrages et de leur génie, en dehors de la littérature proprement dite.

Ramus, moins littéraire encore, mérite cependant d’être distingué par ses persévérants et courageux efforts pour rendre l’indépendance à la philosophie et l’arracher à l’influence exclusive d’Aristote.

Il est à remarquer que les grands écrivains de l’Île-de-France et surtout de Paris datent presque tous du xviie siècle. Jusque-là, en effet, les provinces non encore fortement reliées au centre vivaient de leur vie propre ; mais, depuis le xviie siècle, Paris est devenu vraiment le centre intellectuel de la France : c’est alors que, par la centralisation puissante de Louis XIV, cette ville est devenue comme le résumé de l’esprit général du pays.

Aussi au xviie siècle, outre les grands poètes que nous avons déjà cités, nous trouvons une foule d’éminents écrivains. Racine, Molière, si grands par leurs poésies, ne le sont pas moins par leurs ouvrages en prose, Molière surtout. Un grand nombre de ses pièces sont écrites en prose, et l’on sait que Fénelon préférait sa prose à ses vers.

Malebranche, disciple de Descartes, qui exagéra ses tendances spiritualistes, est aussi remarquable par la netteté et l’éclat de son style que par la singulière subtilité de sa pensée. Voiture, l’homme de l’hôtel Rambouillet, sans être un écrivain éminent, déploya cependant dans ses lettres des qualités d’esprit très remarquables. Trop admiré par son siècle, par Boileau même, qui le place à côté d’Horace, il a peut-être été trop abaissé depuis. Si l’on sent la recherche et l’effort dans ses écrits, quelquefois aussi on y trouve un esprit naturel et de bon aloi ; parfois même un bon sens sérieux vient se mêler à son enjouement.

Dans le même genre, mais dans un rang infiniment supérieur, brille Mme de Sévigné. Dans ses lettres, merveilleuses de naturel, d’abandon et parfois d’éloquence, nous retrouvons tout l’esprit