Aller au contenu

Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CII
LA FRANCE ILLUSTRÉE

de cette société du xviie siècle, qui en eut tant, mais sans apprêt, sans désir d’être admirée, d’autant plus admirable par là même. « Sa correspondance, comme un miroir enchanté, nous fait connaître la cour et ses intrigues, le roi et ses maîtresses, l’Église, le théâtre, la littérature, la guerre, les fêtes, les repas, les toilettes. Tout cela s’anime et se colore en traversant l’esprit de cette femme charmante. » — « Je n’ai jamais eu l’imagination aussi frappée, disait le duc de Villars-Brancas après avoir achevé la lecture de ses lettres ; il m’a semblé que d’un coup de baguette, comme par magie, elle avait fait sortir cet ancien monde... pour le faire passer en revue devant moi. » Les Mémoires du duc de Saint-Simon, restés secrets jusqu’à nos jours, sont encore un tableau de cette époque, mais à un autre point de vue. Cet écrivain incorrect, mais d’une énergie d’expression, d’une verve incomparables, nous dépeint la cour du grand roi avec toutes ses intrigues, ses petitesses ; il fait passer sous nos yeux tous les personnages qui la composent, et les marque en passant d’un trait ineffaçable. Remontant ensuite au règne de Louis XIII, il descend au régent et au cardinal Dubois ; mais quelle variété et quelle vie dans ses portraits ! Passionné, mais en même temps profond et juste appréciateur, il rend justice à chacun, et ses préventions ne le trompent jamais entièrement sur un caractère.

Au-dessous d’eux, citons Scarron, le poète burlesque, mais qui eut la gloire par son Roman comique de discréditer les subtilités puériles qui étaient jusqu’alors le caractère de ce genre ; le grand Arnauld, ce violent et puissant janséniste, qui dépensa un immense talent à composer des ouvrages de polémique, aujourd’hui tombés dans l’oubli comme le sujet qui leur donna naissance ; les de Sacy, dont les ouvrages et le style rappellent les qualités sévères de l’école de Port-Royal ; La Motte-Houdard, très paradoxal et très modéré, à demi révolté contre la routine, mais le plus pacifique et le plus poli des révoltés, plein de sens et de goût dans la défense même des idées littéraires les plus contestables, moins heureux dans l’application que dans la théorie, et démolissant souvent sa critique par ses ouvrages.

Cet écrivain nous amène au xviiie siècle, à Beaumarchais, d’Alembert, Condorcet, Voltaire.

D’Alembert, géomètre illustre, savant de premier ordre, s’est créé un rang dans la littérature par un style exact, élégant et fin. C’est lui qui écrivit le Discours préliminaire qui sert d’introduction à l’Encyclopédie, et ce titre seul suffirait pour lui mériter notre admiration. C’est un magnifique exposé des progrès des sciences et des lettres depuis le xvie siècle.

Comme d’Alembert, Condorcet unit la gloire du savant à celle de l’écrivain et du philosophe ; il fut le biographe et l’un des plus fervents admirateurs de Voltaire. Celui-ci, poète épique et dramatique de second ordre, mais sans rival dans la poésie légère, et le premier peut-être des prosateurs français par la clarté, la netteté, a rempli tout son siècle de sa gloire. Cette rare intelligence avait pour qualités dominantes la passion et le bon sens ; et le produit de ces deux forces fut un esprit étincelant, universel, irrésistible, le génie de l’esprit.

Beaumarchais rappelle Voltaire par sa verve ironique et mordante, son bon sens, son esprit, sa plaisanterie active, inépuisable, pleine d’audace et souvent d’éloquence. C’est lui qui, par ses mémoires contre le sieur Goesman, acheva la ruine du parlement Maupeou, et qui, dans ses comédies, dont le défaut est d’être trop spirituelles, créa ce Figaro, ce spirituel, cet industrieux barbier, et à qui il a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner les Espagnes ; qui sait la chimie, la pharmacie, la chirurgie, broche des pièces de théâtre, rédige des journaux, écrit sur la nature des richesses, et risque fort de mourir à l’hôpital ; ce descendant de Panurge, ce représentant de la roture enfin qui bientôt va succéder par son habileté à ces gens qui ne se sont donné d’autre peine que de naître.

Camille Desmoulins, autre successeur de Voltaire, mit son esprit tout athénien au service des idées les plus violentes, mais eut pour excuse une conviction profonde. Doué d’une imagination pleine de grâce et souvent de vigueur, il eut le rare privilège d’écrire des ouvrages de circonstance qui se lisent encore aujourd’hui.

C’est à la même époque que commencèrent à se faire connaître deux femmes que leur génie met à part de leur sexe. Nous avons trouvé bien des noms de femmes dans l’histoire de notre littérature, mais aucune ne peut être comparée pour la vigueur et l’élévation de la pensée à Mmes Roland et de Staël. Mais il y a cette différence entre elles que l’une, entièrement mêlée à la politique, y resta