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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/133

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CXIX
INTRODUCTION

ruines découvertes à l’est et au centre de la Gaule les restes d’importantes cités commerçantes et industrielles. Ces assertions reposent sur des données tellement vagues, que nous les consignons sans en assumer aucunement la responsabilité, renvoyant pour l’appréciation de ces hypothèses à nos notices sur les départements et les villes principales.

L’amélioration des voies de communication étant un des éléments essentiels de la prospérité du commerce, la Gaule aurait vu sans doute ses relations au dedans et au dehors s’accroître et s’étendre considérablement pendant l’occupation romaine, si le commerce avait reçu des vainqueurs les mêmes encouragements que l’agriculture. Mais le génie de nos ancêtres pas plus que celui des Romains n’était tourné de ce côté ; aux Grecs de Marseille succédèrent pendant tout le moyen âge les Juifs, les Lombards ; et aujourd’hui sait-on bien quelle part de notre commerce est chez nous-mêmes aux mains de l’étranger ? Flamands au nord, Suisses en Franche-Comté, Espagnols à Bordeaux, Génois à Marseille, Anglais partout, dans la banque, dans nos chemins de fer, ne prouvent-ils pas la persistance d’un instinct répulsif et notre permanente infériorité dans cette carrière ?

En France, à l’égard du commerce, il reste encore beaucoup des vieux préjugés nobiliaires ; le fils d’un commerçant enrichi dédaigne généralement la boutique de son père : il ambitionne de devenir médecin, avocat ou notaire ; toute intelligence élevée s’éloigne du comptoir, on se fait artiste ou soldat sans déroger ; la qualification d’épicier est une injure ; et tandis qu’ailleurs les travaux et le crédit du fils, s’ajoutant à ceux du père, constituent des maisons d’une solidité incontestée et d’une notoriété européenne, chez nous, en ce genre, rien de durable ne se fonde, et c’est au milieu des défiances qui s’attachent à tout début qu’il faut lutter contre des réputations séculaires, contre l’expérience et les ressources accumulées de plusieurs générations. Cette digression sur l’état actuel n’est pas sans utilité pour l’intelligence du passé.


§ II. Les barbares, qui chassèrent et remplacèrent les Romains, avaient bien moins encore le goût et la tradition du commerce ; ils ne pouvaient donc modifier dans un sens favorable l’élément gaulois ; aussi, jusqu’à Charlemagne, l’histoire est-elle complètement muette sur le sujet qui nous occupe. Le commerce fut une des préoccupations de ce vaste génie. Il encouragea les émigrations d’Italiens en France ; il contint les Danois, qui exerçaient la piraterie sur les côtes de la mer du Nord ; il noua même des relations avec le souverain de la Perse pour la sûreté des relations commerciales de ses sujets. Au premier aspect, ces faits paraissent sans aucune coïncidence avec ce qui précédait et ce qui a suivi ce grand règne ; mais quand on songe à l’agglomération dont se composait cet immense empire, qui s’étendait de Hambourg à Raguse et de l’Èbre à l’Oder, on comprend l’opportunité pour certaines provinces de mesures très peu réclamées par les besoins de la France de Charles le Chauve ou de Louis le Bègue.

Pendant sept longs siècles, de la mort de Charlemagne à l’affermissement de Louis XI, il ne s’agira guère pour le pauvre marchand de France d’avoir sécurité sur les côtes de la Baltique ou voie ouverte jusqu’en Perse. Ce qu’il demanderait, s’il avait, hélas ! l’espoir d’être exaucé, ce serait de pouvoir aller de Paris à Orléans, de Châlons à Reims ou de Laon à Soissons sans courir la chance d’être rançonné, dévalisé ou tué en chemin. Parfois encore dans nos campagnes, loin des grandes routes et des voies ferrées, on rencontre un homme à la démarche assurée malgré le lourd ballot qu’il porte vaillamment sur les épaules ; vêtu d’une blouse bleue, la tête couverte d’un chapeau à larges bords, de longues guêtres aux pieds, un solide bâton à la main, il va de ferme en ferme, de chaumière en chaumière, offrant, étalant, vendant les marchandises dont il porte l’assortiment dans son havresac ; c’est le colporteur, le porte-balle, le dernier représentant du commerce français au moyen âge. Quand on se représente ce rude marcheur pendant les brûlantes journées d’été, pendant les longues, froides et brumeuses nuits d’hiver, on se sent ému d’un vif sentiment de compassion, surtout si on compare son sort à la somptueuse et molle existence des marchands de la ville, attendant leur clientèle dans leurs magasins tout d’or et tout de glaces ; eh bien, entre la vie de l’un et celle de l’autre, il y a moins de différence encore qu’entre la destinée de celui-là même que vous plaignez tant et la carrière du plus fortuné marchand d’autrefois. Notre colporteur a des routes sûres, des chemins tracés ; il trouve partout un accueil poli, sinon bienveillant. Le jour de son départ, il a fixé son itinéraire et ses étapes, qu’aucun accident ne