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passée la visite, ensuite parce qu’il avait du nouveau à raconter.

Ce ne fut pas sans une certaine inquiétude qu’il ouvrit la porte de sa maison, ne sachant pas s’il allait trouver sa femme dans le ravissement ou dans les larmes. S’étant préparé par le raisonnement à l’une ou l’autre de ces alternatives, il fut très surpris de voir que sa femme n’était ni dans les larmes ni dans le ravissement. Quand il entra dans la chambre, Mme Pascaud rangeait tranquillement du linge dans une armoire. Elle ne se détourna pas tout de suite et sembla même prolonger, comme à dessein, l’opération délicate qui accaparait son attention.

M. Pascaud resta quelques instants immobile et silencieux, et quand sa femme se retourna, il vit qu’elle avait les yeux rouges ; mais sa physionomie n’exprimait ni la douleur ni le dépit.

« Ça n’a donc pas marché comme tu voulais ? lui demanda-t-il avec inquiétude.

— Au contraire.

— Cependant tu as pleuré ?

— Oui, j’ai pleuré, mais pas de chagrin, répondit Mme Pascaud non sans quelque confusion ; » car je ne sais pas pourquoi l’on rougit toujours d’avoir pleuré, comme si c’était inconvenant.

« Je ne savais que lui dire, en commençant, reprit Mme Pascaud d’un ton sérieux, mais elle m’a bien vite mise à mon aise. C’est une chère créature. Comment a-t-elle deviné si juste ce qu’elle devait me dire pour m’ouvrir le cœur. De fil en aiguille, je lui ai parlé de tous ceux que j’ai perdus, et mon cœur se soulageait en parlant d’eux. Quand je lui ai dit mon autre grand chagrin, et que je ne pouvais pas me consoler de n’avoir pas d’enfants, elle m’a pris la main et m’a dit : Ne vous retenez pas, pauvre femme, pleurez, cela vous fera du bien… — Alors, mon cœur s’est fondu en larmes, et j’ai été soulagée d’un grand poids, et, aussi vrai qu’il y a un Dieu, je l’ai embrassée en l’appelant « ma mignonne et ma chérie » et cela ne l’a pas scandalisée. »

Les lèvres du vieux commis tremblaient, et il avait la gorge serrée par l’émotion. « Qu’elle soit bénie, dit-il enfin d’une voix étouffée, et que ses enfants et son mari soient bénis à cause d’elle. »

Ensuite ils demeurèrent immobiles, se regardant avec tendresse ; mais ils se taisaient comme des gens qui n’ont plus rien à se dire, ou plutôt qui ne trouvent pas les mots pour dire ce qu’ils ressentent.