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les filles déjà venues grandissaient, et qu’il en venait d’autres, la vue du donjon, où il passait quelquefois des curieux, des artistes, des archéologues, parut trop mondaine pour des filles destinées au célibat, les fenêtres de la façade se fermèrent une à une, et la famille se transporta dans la partie de l’immense maison qui donnait sur le jardin. C’était à coup sûr un grand jardin ; mais, comme il n’était pas sur le rempart, il n’avait pas vue sur la campagne, et, l’horizon en était borné par un des côtés de la vieille église romane. Pour égayer cette solitude un peu claustrale, le comte y avait fait établir un cadran solaire et un jet d’eau ; et dans les dernières années il avait acheté un perroquet monotone et un paon boudeur. Le perroquet monotone répétait la même chose toute la journée, et le paon boudeur ne faisait plus la roue depuis des années, sous prétexte sans doute que ce n’était pas la peine de faire les frais d’une queue en éventail, puisque l’on était toujours entre soi.

La même institutrice avait fait successivement l’éducation de toutes les filles ; elle en était arrivée pour le moment à la fille no 6 et au garçon, qui tous les deux manquaient un peu de docilité. Il faut dire, à la décharge des deux coupables, que les leçons de Mlle Foulonne manquaient absolument d’intérêt. Cette excellente personne était un peu surannée et un peu routinière à l’époque où elle avait attaqué le tuyau no 1 de la flûte de Pan ; ses idées s’étaient encore racornies, et son instruction, faute d’entretien, était tombée presque à zéro.

Sans lui manquer précisément de respect, les deux lutins dont elle était censée cultiver l’esprit, mettaient quelquefois sa patience et son amour-propre à de terribles épreuves. Comme ils étaient très vifs et très éveillés, ils la harcelaient de questions auxquelles elle ne savait que répondre.

La fille no 6, qui avait le goût de la géographie, lui faisait faire sur l’atlas de véritables découvertes. Car, du temps où Mlle Foulonne allait en classe, il était d’usage d’apprendre la géographie par cœur, sans cartes. La vue seule d’une carte lui donnait la migraine ; la pauvre âme se perdait dans le grimoire ; elle allait de bévue en bévue, se trompait chaque fois sur la situation des