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capitales, barbottait dans les fleuves et suait sang et eau à gravir les montagnes.

Le garçon la mettait quotidiennement à la torture, en lui demandant son opinion personnelle sur les événements de l’histoire et sur le caractère des personnages historiques.

Tremblante, éperdue, elle fermait les yeux, semblait se recueillir et disait d’un ton grave: « Réservons ce point plus tard ! »

Une huitaine de jours après l’entrevue de Mme Gilbert et de Mme de Servan, la famille du comte de Minias était à table, un silence lugubre régnait dans la salle à manger, tandis qu’un domestique lugubre passait les plats, se penchant à l’oreille des convives et leur conseillant sans doute tout bas de ne rien prendre de ce qu’il leur offrait, car ils laissaient passer le plat sans rien prendre.

Déjà plusieurs fois les lunettes de Mlle Foulonne avaient lancé des éclairs de reproche du côté de la fille no 6, qui se tenait mal, et du jeune monsieur de sept ans qui bâillait sans vergogne, se renversait contre le dossier de sa chaise et enfonçait ses mains jusqu’au fond de ses poches, pour se distraire.

Le perroquet, voyant que le dîner manquait d’entrain, crut devoir payer de sa personne ; il appela d’une voix éclatante le « Jean » mystérieux auxquel il faisait toujours allusion, et lui commanda d’apporter « du rhum et du rôti de mouton ! » « Joseph, s’écria le petit garçon, donnez-lui ce qu’il demande, pour qu’il nous laisse tranquilles ! »

À cette brusque incartade, les cinq sœurs résignées baissèrent modestement leurs dix yeux sur leurs cinq assiettes, et la sœur non résignée encouragea son frère par une grimace très expressive.

M. le comte de Minias regarda Mme la comtesse de Minias, qui regarda Mlle Foulonne, qui tourna ses lunettes du côté du coupable.

Mlle Foulonne avait une voix de basse-taille qui eût fait honneur à un chantre.

« Maurice, dit-elle d’un ton solennel, vous me surprenez, vous nous surprenez tous. Un enfant bien élevé…

—C’est vrai aussi, reprit Maurice d’un ton hargneux ; c’est