Page:Maman J. Girardin.pdf/126

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ennuyeux à la fin d’entendre toujours la même chose, de voir toujours la même chose, d’apprendre toujours la même chose, et de la grammaire, et de l’arithmétique, et du calcul mental, et je ne sais quoi. »

Sauf la sœur no 6 qui pouffait de rire dans sa serviette, toute l’assemblée était pétrifiée d’horreur, sans quoi l’on n’eût pas laissé le petit insurgé finir son inconvenante harangue.

Au comble de l’exaspération, le comte fit machinalement un tampon de sa serviette, comme s’il eût résolu de foudroyer le coupable en la lui lançant à la tête ; mais il se contenta de pétrir son tampon avec énergie, tandis qu’il prononçait d’une voix entrecoupée les paroles suivantes:

« Monsieur, n’était-ce pas déjà trop d’avoir dit une sottise, et fallait-il y ajouter une grossière impertinence ? Quoi, à ma table, en ma présence, en présence de votre mère et de vos sœurs, vous coupez la parole à une personne âgée et respectable ! Non, mademoiselle Foulonne, n’intercédez pas pour lui, laissez-moi épancher l’indignation qui bouillonne dans mon sein. Monsieur, expliquez vous, parlez, dites quelque chose.

— Je voudrais, répondit Maurice qui avait la tête montée, avoir les deux jambes paralysées, et le dos malade, je voudrais être traîné dans une petite voiture.

— Cet enfant est fou ! s’écria M. de Minias en se versant un grand verre d’eau, qu’il avala d’un seul trait.

— Mon enfant, explique-toi, lui dit doucement sa mère.

— Si j’étais dans une petite voiture, on me roulerait peut-être tous les jours chez le percepteur.

— Pour quoi faire, grand Dieu ! veut-il qu’on le roule chez le percepteur ? » demanda le comte, s’adressant à tout le monde en général et à personne en particulier.

— Pour jouer avec ses enfants.

— Mais, créature dénaturée, nous ne connaissons pas le percepteur ; c’est un étranger ; nous ne savons pas d’où il sort ? »

Ici il y eut un coup de théâtre, qui accrut encore la stupeur de toute la compagnie.

Sans être interpellé, sans avoir demandé et obtenu l’autorisation de parler, le no 6, avec une candeur pleine de perversité, dit d’une voix douce: