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Cette vue lui causait toujours une émotion bizarre qui ressemblait presque à de la jalousie, et elle disait : « Ce sera pour demain. »

Mais elle retombait dans ses incertitudes et « demain » ne venait jamais.

Elle avait fini par connaître les heures où l’enfant malade sortait de chez sa tante et celles où il rentrait avec son escorte. Un jour qu’elle était à son observatoire, il prit fantaisie au malade de parcourir le donjon dans toute sa longueur. Le petit groupe s’éloigna dans la direction de la tour carrée ; Madeleine poussait la voiture au grand trot, et la comtesse entendait les rires joyeux des enfants. Arrivés à la tour carrée, ils revinrent sur leurs pas toujours au grand trot. À la moitié du donjon, Madeleine essoufflée s’arrêta et les deux enfants du percepteur poussèrent la voiture à sa place. Madeleine s’assit sur un banc pour attendre leur retour.

Les enfants s’arrêtèrent pour reprendre haleine, juste sous les fenêtres de la maison au perroquet, et se mirent à bavarder. Les enfants, comme les grandes personnes, s’observent quand on les regarde, et malgré l’étourderie de leur âge, ne disent pas tous leurs petits secrets en présence des grandes personnes. Les trois enfants étaient seuls, loin de toute surveillance, la comtesse avait une occasion unique de se renseigner sur leur caractère. Aussi écouta-t-elle de toutes ses oreilles. Ce qu’elle entendit la fit sourire, et elle se dit que cette fois ce serait pour demain.

Comme elle allait se retirer, elle entendit Georges et Louise crier en même temps: « Le capitaine Maulevrier ! » et il se précipitèrent vers un jeune homme de tournure distinguée, qui venait de tourner le coin de la maison au perroquet, suivi d’un jeune garçon boiteux qui portait une valise et un nécessaire de voyage.

Aussitôt qu’ils eurent embrassé leur ami et répondu à ses premières questions, les deux enfants le prirent par les deux mains, et l’entraînèrent vers la petite voiture où le malade s’agitait, comme s’agite dans son nid un pauvre oiseau craintif.

« Lucien, lui dit Georges avec un air d’importance, voilà notre ami le capitaine Maulevrier ; vous le connaissez bien, nous vous avons parlé de lui. »

Les lèvres de Lucien tremblaient et le pauvre petit était tout pâle.

« Nous serons des amis, nous aussi, dit le capitaine en lui prenant la main ; et comme il avait pitié de l’agitation nerveuse