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poussée sous prétexte d’accolade et lui secoua les bras de manière à y rétablir promptement la circulation.

Aux exclamations de son mari, Mme André Pichon accourut, tenant le filleul de l’oncle Pichon entre ses bras.

« Voilà ma femme ! dit André avec orgueil, et puis voilà votre filleul !

— Pour faire connaissance, ma chère, dit M. Pichon, en déposant galamment deux baisers de conducteur sur les joues rondelettes de Mme André.

— Et celui-là, qu’est-ce qu’il veut ? » reprit l’oncle Pichon en embrassant son filleul. Le filleul se laissa embrasser sans protestation, mais il continua à tendre ses petites mains potelées.

« C’est à votre chapeau qu’il en veut, dit Mme André en souriant. Le plus souvent qu’on donnera de beaux chapeaux neufs à des petits enfants qui cassent tout. Non, non, on ne leur donnera pas le beau chapeau. Ma chère, c’est ce qui vous trompe, » s’écria M. Pichon d’un ton goguenard. Et cet homme magnanime, ce parrain modèle, livra sans hésiter son chapeau à tous les hasards qu’il pouvait courir entre des petites mains si gauches et si inexpérimentées.

Mais le parrain n’avait pas comparé mentalement le poids du chapeau, et la force des petites menottes qui se tendaient pour le saisir. Aussitôt qu’il eut le chapeau entre les mains, le filleul le lâcha. Le dur cylindre, en touchant le sol, produisit un bruit sourd, et fit deux ou trois tours sur lui-même.

« Là, qu’est-ce que j’avais dit ? s’écria la soigneuse ménagère en ramassant prestement le chapeau. Oh ! le vilain petit garçon qui a « abîmé » le chapeau de son oncle.

— D’abord il n’a pas « abîmé » mon chapeau, dit l’oncle Pichon en souriant à sa jolie nièce ; et puis, quand même il l’aurait abîmé, je ne veux pas qu’on le gronde, c’est mon filleul ! »

Tout heureux et tout fier d’avoir pris si vaillamment possession de son filleul à la barbe du père et de la mère, il tendit le chapeau au marmot, en ayant soin de le soutenir par un des côtés du bord.

Le marmot fit ce que font tous les marmots en pareille occurrence: il porta le bord du chapeau à sa bouche et le serra entre ses deux uniques dents, avec l’espoir secret que la pression aiderait la troisième à percer sans douleur.