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brièveté et de l’autorité des oracles. Dans aucun cas il n’admettait la discussion: le commandant d’un navire ne discute pas avec ses passagers.

Quand on arrive à la Silleraye par la route de Tours, la petite ville se présente sous un aspect saisissant ; la mesquinerie des bas quartiers est dissimulée par des groupes d’arbres et des rideaux de grands peupliers, et l’on n’aperçoit que la ville haute, bâtie au flanc d’un rocher qui fait face à la route de Tours. Or la ville haute se compose d’anciens ouvrages militaires en parfait état de conservation: remparts, tours rondes à créneaux, couronnées d’arbres, de maisons, de jardins. Du milieu de ce fouillis pittoresque s’élancent les clochers d’une église romane, les tourelles et les dentelures d’un château du seizième siècle, et la masse imposante d’une tour carrée, bâtie, dit-on, par les Romains.

Les voyageurs de l’impériale ne manquaient jamais de pousser des cris d’admiration.

Flatté dans son amour-propre, Pichon tournait vers eux son œil bienveillant pour les remercier de l’hommage qu’ils rendaient à sa ville natale. En même temps le sentiment du devoir et l’amour de la vérité le contraignait à leur dire:

« D’accord, c’est joli ; mais pour juger la Silleraye, attendez que vous avez vu la ville basse. »

Les voyageurs naïfs lui demandaient si c’était encore plus joli que la ville haute. Pichon secouait la tête sans répondre, faisait le gros dos et allongeait mélancoliquement un coup de fouet inoffensif à ses bêtes.

Quand on arrive par la route de Châteauroux, on a devant soi le revers de la colline où est bâtie la ville haute ; c’est une croupe arrondie lourdement, monotone, sans lignes, sans caractère, plantée de vignes et de noyers, derrière lesquels on aperçoit à peine le haut de la grande tour carrée qui produit l’effet d’une immense table de billard, et les pointes seulement des clochers romans. En revanche, on s’engage dès le début dans la ville basse qui contourne la colline, en suivant les bords de l’Indre. On perd de vue la rivière et la prairie, qui disparaissent derrière des murs de jardins, des maisons noires et humides, des moulins fatigués de leur métier, qui se penchent sur l’eau, comme pour en mesurer la profondeur, avant de s’y laisser choir une bonne fois pour toutes, afin d’en finir. Puis