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pas devenu son ami ; il ne l’aurait pas présenté à Mme Gilbert, à son mari et à ses enfants, et lui, philosophe, n’aurait probablement jamais fait le voyage de Saumur ! En effet, qu’est-ce qui l’avait décidé ? La vue d’une famille bien unie et le sentiment plus vif de l’isolement où il vieillissait. C’était bien à Mme Gilbert qu’il devait son bonheur présent ; aussi pensait-il à elle en regardant sa nièce aller et venir. Et même, quoiqu’il n’y eût aucune ressemblance entre les traits de Mme Gilbert et ceux de la femme du tonnelier, il se plaisait pourtant à trouver que sa nièce avait certains gestes, certains mouvements, certaines intonations qui l’avaient frappé dans Mme Gilbert. Il lui en savait un gré infini, et l’avenir qu’il rêvait depuis quelque temps en prenait des teintes de plus en plus roses.

Le vacarme même qui venait de l’atelier se mêlait à ses rêves au lieu de les troubler. C’est ce joyeux vacarme qu’il entendrait là-bas, à la Silleraye, quand ils vivraient tous ensemble ; c’est ce joyeux vacarme qui réveillerait les endormis de la ville basse. Il avait déjà une maison en vue, où il y aurait grandement place pour tout le monde ; au besoin, il se ferait tout petit pour ne gêner personne. Sa nièce aurait trop à faire pour s’ennuyer, et elle était trop active pour s’endormir. Seulement, consentiraient-ils à quitter Saumur ? Pour les décider, il était prêt à tous les sacrifices ; oui, il leur donnerait tout son avoir, ne se réservant qu’une modique pension pour vivre !

Et pendant que le philosophe philosophait, son filleul lui faisait mille misères, sans parvenir à lasser sa patience ; et la petite ménagère vaquait aux soins du ménage. Tout à coup. entendant au dehors un pas bien connu qui s’approchait de la maison, elle sortit rapidement et reparut au bout d’une minute, la main sur l’épaule d’un grand garçon de quatorze ans.

« Mon oncle, dit-elle au philosophe, voilà André ! »

André ricana, comme font les garçons de quatorze ans quand ils sont embarrassés, et s’avança gauchement vers l’homme à la redingote noire et aux yeux inégaux.

« Embrasse ton oncle ! » lui souffla sa mère, en le poussant par derrière.

André embrassa son oncle pour obéir à sa mère, et il embrassa