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— Pauvre oncle, comme vous devez être mal ! s’écria la jeune ménagère en le considérant avec une pitié sincère !

— Pas trop bien, reprit l’oncle ; mais, tu sais, c’est seulement pour dormir. Toute la journée, je suis au grand air sur mon siège.

— Mais quand il pleut ?

— Je suis mouillé.

— Mais quand il gèle ?

— Je suis gelé, et quand il fait un grand soleil, je suis cuit ; c’est le métier. Tant qu’on est jeune, on n’y fait pas seulement attention ; mais quand on commence à prendre de l’âge, on trouve cela un peu dur. Aussi, j’ai une vague idée que je ne continuerai pas bien longtemps.

— Eh bien ! mon oncle, savez-vous ce que vous devriez faire ? Vous devriez quitter votre vilain siège et votre vilaine chambre, et venir demeurer avec nous. »

M. Pichon regarda attentivement une lithographie encadrée qui représentait l’Enfant prodigue disputant aux pourceaux leur nourriture. Ce n’est pas que cette œuvre d’art méritât une attention particulière, mais le rusé bonhomme voulait dissimuler un sourire qui lui était venu sur les lèvres.

« Ma chère enfant, dit-il quand il fut redevenu parfaitement sérieux, je ne sais pas si cela conviendrait à ton mari.

—Voulez-vous que je l’appelle ? Il vous répètera lui-même ce qu’il m’a dit cent fois.

— Eh bien ! nous causerons de cela après souper, quand les enfants seront au lit.

— Quand vous voudrez, mon oncle. »

L’oncle fut touché de cette discrétion, et dit à sa nièce:

« Je crois que tu n’es pas difficile à vivre.

—Je le crois aussi, mon oncle, mais j’ai un si bon mari et de si bons enfants que je n’ai pas grand mérite à prendre la vie par le bon côté.

— Oui mais, répliqua l’oncle d’un air malin, si l’on fourrait un vieux bourru dans un si bon ménage, on ne sait pas ce qui pourrait arriver.

— Où donc est-il, ce vieux bourru ? demanda la nièce avec une surprise affectée.