Page:Maman J. Girardin.pdf/203

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pas de cela devant les enfants, pour des raisons que je vous dirai. Chut ! chut ! chut ! »

Elle n’eut pas tort d’ajouter ces trois monosyllabes, car le premier mouvement de l’oncle Pichon avait été de se mettre à danser. Il était devenu tout rouge, puis tout pâle, et puis il avait empoigné sa blouse des deux côtés de la poitrine, et il tirait dessus de toutes ses forces, comme s’il eût fait un ferme propos de la déchirer en mille miettes.

Ayant ainsi calmé son agitation intérieure, il devint tout à coup si mystérieux, adressa tant de clins d’œil d’intelligence à son neveu, tout en mangeant sa soupe, que les enfants devinèrent tout de suite qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Les deux écoliers partirent pour l’école, et André retourna à l’atelier. Alors l’oncle Pichon sauta à la gorge de son neveu, le serra dans ses bras, le fit tourner sur lui-même, et déclara qu’il allait fumer une bonne petite pipe.

« Alors, dit-il après avoir allumé sa pipe, nous allons donc demeurer ensemble à la Silleraye. Eh bien ! vous ne vous en repentirez pas.

— Chut ! lui dit sa nièce en posant son doigt sur ses lèvres, et en devenant toute rose.

— Pourquoi chut ? Ah ! je comprends. Non, non, je n’entends pas parler d’argent, au diable l’argent. Je veux dire que l’affection… la reconnaissance… songez donc, vivre en famille !… je ne serai jamais bourru, je tâcherai d’être tout le contraire, voilà ce que je veux dire. Tire-moi les oreilles, toi ! »

Ces paroles s’adressaient au poupon, qu’il venait de ravir à sa mère ; le poupon tira les oreilles de son parrain avec une telle vigueur qu’elles devinrent toutes violettes et les yeux du parrain se remplirent de larmes.

La maman crut devoir intervenir.

« Non, non, ma petite Aimée, laisse-le tirer ; ça me fait plaisir et ça me soulage le cœur. Je vous dois tant, mes enfants, que je me couperais volontiers les oreilles pour vous faire plaisir a vous et aux vôtres. Mais pourquoi n’avez-vous pas voulu parler de cela devant les enfants ?

— Par prudence, lui répondit sa nièce. S’ils savaient, trop longtemps d’avance, qu’ils doivent quitter Saumur, l’impatience pour-