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donnait à la vigne dans ce pays-là, car il avait formé le projet d’acheter une petite vigne sur le coteau, et d’y faire bâtir un vide-bouteilles, pour y aller passer le dimanche avec les siens. Le paysan se tint d’abord sur la défensive et ne répondit que par monosyllabes ; mais, M. Pichon lui ayant raconté son histoire personnelle (sans rien dire de son neveu, de peur de lui faire perdre une pratique en annonçant son départ), le paysan vit qu’il n’avait pas affaire à un Monsieur et lui donna gratis une bonne petite leçon de viticulture.

Quand M. Pichon quitta le paysan, il songea au retour, et commença à revenir sur ses pas. Un peu avant Saumur, il fut croisé par une patache qui cahotait trois paysans. Le conducteur, un jeune homme blond, couvert de taches de rousseur, fouettait ses haridelles à tour de bras et ne ménageait pas les jurons.

M. Pichon éprouva ce bien-être égoïste que l’on éprouve à voir les autres travailler et prendre de la peine, quand on est soi-même de loisir et sans l’ombre d’un souci.

« Trime, rousseau, trime ! dit-il mentalement à l’homme aux taches de rousseur : me voilà bourgeois pour un mois, ensuite encore un peu de service, ensuite la liberté. »

Plus il approchait du faubourg, plus son cœur battait d’allégresse à l’idée de toutes les joies qui l’attendaient au foyer de « ses enfants ».

Comme il passait devant une pauvre maison toute déjetée et toute noire, il vit un marmot à demi un qui traînait dans la poussière les débris d’un cheval de carton.

Cette vue éveilla en lui un souvenir, et brusquement il se frappa le front. « Décidément, pensa-t-il, je baisse et je perds la mémoire. Aimée, en déballant ma malle, a tout rangé dans l’armoire et dans la commode, et j’ai oublié de donner les joujoux aux enfants. »

Au lieu d’aller entendre le bruit du maillet, comme il se l’était bien promis, il monta précipitamment à sa chambre et chercha le paquet. Comme tout était en bon ordre, il n’eut pas de peine à le retrouver. En un tour de main, il coupa la ficelle et déplia le papier, et étala les joujoux côte à côte sur son lit. Le spectacle était si magnifique et si somptueux qu’il ne put retenir un sourire de satisfaction.

Ensuite il descendit à pas de loup dans la salle d’en bas, et trouva sa nièce en train de faire la quatrième toilette du nourrisson. Pour