Page:Maman J. Girardin.pdf/216

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— Tu pouvais te faire éconduire.

— C’est vrai.

— Tu pouvais tomber sur un enfant démoralisé par la souffrance et l’isolement.

— C’est encore vrai, mais le pauvre petit était si digne de pitié.

— Sans doute il était digne de pitié ; mais c’est surtout parce qu’il était infirme, et que son malheur frappait tous les regards. Qui te dit que les enfants de Mme de Minias ne soient pas dignes de pitié aussi ? Mets-toi par la pensée à la place de Mme de Minias. suppose que les deux enfants aient été soumis à une contrainte et à un ennui insupportable, qu’ils ne puissent plus y résister et qu’ils se révoltent un beau jour ; te croirais-tu blàmable d’aller demander aide et conseil à une mère plus expérimentée, et ne trouverais-tu pas un peu dur que cette mère te fermât sa porte ?

— Mais je ne suis pas une mère expérimentée ! s’écria Mme Gilbert ; tu sais bien que je n’ai jamais lu un traité d’éducation, et que je n’ai point de théories. Si Mme de Minias m’avait demandé des conseils, il m’aurait été impossible de lui en donner un seul, et elle aurait peut-être cru que j’y mettais de la mauvaise volonté. Georges et Louise sont certainement de bons enfants ; mais je crois que la nature a beaucoup fait pour eux.

— La maman aussi, riposta le percepteur avec une ironie amicale.

—Je n’ai fait que suivre leur développement jour par jour et heure par heure.

— Rien que cela ! s’écria le percepteur en riant. Mais sais-tu bien qu’en dépit de tous les théoriciens et de tous les philosophes, c’est là le fond de toute bonne éducation. Ce n’est peut-être pas bien sublime de suivre pas à pas le développement d’un enfant ; et bien des parents dédaignent un si modeste office, ou sont trop paresseux, trop indifférents ou trop mondains pour le remplir. Alors ils remettent l’âme de leur enfant aux mains de certains éducateurs patentés, qui savent tout, excepté ce qu’il faut savoir, excepté ce que tu sais si bien.

— Tu te moques de moi, c’est très mal.

— Non, je ne me moque pas de toi, je te dis la pure et simple vérité. Cependant, si la vérité t’effarouche et te fait rougir à ce point, je consens à diminuer ton mérite en te déclarant que tu as le