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histoires étaient belles, mais elles étaient toutes de son invention. Dans ses longues heures d’isolement, il avait lu et relu les livres d’enfants que sa tante avait mis à sa disposition, et surtout il avait beaucoup rêvé. Comme il avait de l’imagination aussi bien que de la mémoire, il brodait sur les thèmes que lui fournissaient ses lectures, et, sans y songer, il était devenu auteur, auteur inédit, bien entendu.

Quelquefois, quand l’inspiration le prenait, il faisait à Madeleine de longs récits, que Madeleine trouvait les plus beaux du monde. Madeleine avait révélé son secret à Mme Gilbert et à ses deux enfants, et plus d’une fois déjà Lucien leur avait raconté quelqu’une de ses inventions. Les enfants avaient partagé l’avis de Madeleine et Mme Gilbert elle-même avait été frappée du caractère de ces récits enfantins.

En le mettant en scène dès le début, elle espérait donner de lui une haute idée aux enfants de Mme de Minias.

Son attente ne fut pas trompée.

On a donné bien des définitions de l’idéal, celle-ci entre autres: « L’idéal, c’est ce qu’on n’a pas et que l’on voudrait bien avoir. » En conséquence, pour Lucien, l’idéal c’était la force, la santé, l’activité, l’énergie, la liberté de la pleine campagne, la vie au soleil, les grandes aventures. Il aimait bien Robinson Crusoé, parce que Robinson Crusoé avait vécu longtemps seul, comme lui, mais il préférait de beaucoup Don Quichotte, qui s’en allait par le monde, le casque en tête, la lance au poing, en quête d’aventures, et prenant toujours parti pour les faibles et les opprimés. Aussi, dans tous les récits de Lucien, l’on était sûr de rencontrer ou bien un jeune chevalier, cousin de Don Quichotte, ou bien un enfant courageux et fort, cousin de l’enfant qu’il aurait voulu être lui-même.

Cette fois-ci, c’est le second de ses héros qu’il mit en scène. L’enfant courageux, par des merveilles d’héroïsme et de dévouement, gagne l’amitié d’une princesse aussi belle que le jour, et aussi bonne que le bon Dieu. Quand la princesse lui dit de choisir lui-même la récompense de ses services, l’enfant courageux s’agenouille devant elle et lui dit: « Madame, je suis orphelin, permettez-moi de vous appeler maman ! » La princesse l’embrasse et lui dit: « Oui, je serai votre mère, mon fils sera votre frère et ma fille sera votre sœur. » Alors l’enfant courageux sentit qu’il avait en lui le cœur