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faire son marché. Or le marché est dans la basse ville et le ménage Pascaud demeurait au Donjon. Aussi, les jours de marché, M. Pascaud accompagnait sa femme, et c’est lui qui remontait le lourd panier aux provisions, toujours vêtu de noir, toujours coiffé du chapeau à forme haute, pendant que Mme Pascaud haletait à ses côtés. À la Silleraye personne ne trouvait cela ridicule.

M. Pascaud était très fier de sa femme, Mme Pascaud encore plus fière de son mari, parce qu’il était, de naissance, « un monsieur de la ville », et par-dessus le marché « un homme de grands moyens ! »

« Alors, dit Mme Pascaud, en frappant l’Observateur de son index potelé, tu dis qu’ils s’en vont.

— C’est imprimé en toutes lettres, répondit M. Pascaud. Veux-tu que je te le relise ?

— Tu sais lire, toi, reprit Mme Pascaud avec un regard d’admiration à l’adresse de son mari, et tu sais lire sans te tromper ; c’est inutile que tu recommences. »

Mme Pascaud n’avait jamais été initiée aux mystères de l’art de lire, vu que la ferme paternelle était dans une commune où il n’y avait point d’école. Par acquit de conscience, M. Pascaud, après l’avoir épousée, avait essayé de lui apprendre à lire, mais il y avait perdu son latin.

« Je suis trop bête et trop vieille pour apprendre, lui dit sa jeune femme sans fausse honte ; d’ailleurs, tu sais lire pour deux, et même écrire, et moi j’en saurai toujours assez pour aimer et respecter mon mari et pour lui rendre la vie douce. »

« Et ce freluquet-là ne t’avait même pas dit qu’il s’en allait, reprit Mme Pascaud en regardant l' Observateur avec des yeux courroucés. » Mais si ses yeux étaient fixés sur l' Observateur, c’est à M. de Jégon que s’adressait sa réflexion.

« Le fait est que je l’apprends par le journal, dit M. Pascaud d’un air grave et réfléchi.

— C’est une malhonnêteté de sa part.

— Le fait est qu’il aurait pu…

— Le fait est qu’il aurait du te prévenir, et c’est un malhonnête de ne l’avoir pas fait. Écoute, Victor, tu as toujours été trop bon pour celui-là et pour les autres ; promets-moi d’être comme un crin avec le nouveau.