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la brèche aux buffles.

à quatre, et pendant lesquelles il propose souvent des parties de cartes à son patron, qui n’ose refuser.

La moralité de tout ce qui précède, je l’ai déjà dit et je le répète, c’est que de nos jours où, grâce à la facilité des transports, les distances ne sont plus rien, quand deux nations entrent en lutte économique, si, chez la première, la terre et le travail sont chers, tandis que, dans la seconde, le travail seul est cher et la terre est pour rien, la seconde doit ruiner la première, parce qu’elle pourra toujours produire à meilleur marché qu’elle. C’est pour cela, et uniquement pour cela, que les importations américaines nous ont réduits à l’état où nous sommes.

Mais si une troisième nation entre dans l’orbite des deux premières, dans laquelle terre et main-d’œuvre sont à bon marché, elle ruinera la seconde tout aussi sûrement que la seconde avait ruiné la première. C’est ce qui arrive maintenant à l’Inde. Autrefois, les grandes plaines d’alluvion de ce pays se reposaient pendant neuf mois après avoir produit la récolte du riz qui suffisait à nourrir tant bien que mal ses habitants. Maintenant, on leur fait produire une seconde récolte de froment qui peut se vendre infiniment meilleur marché que les blés américains ou européens, parce que les ouvriers qu’on emploie à ce travail s’habillent avec un mouchoir de poche et vivent en mangeant une poignée de riz. Aussi ce sont maintenant ces blés indiens qui font les prix sur les marchés de l’Europe, et ces prix rendent nos marchés inabordables aux blés américains, ou du moins les blés américains qu’on continue à apporter parce qu’il faut bien les vendre quelque part, se vendent à des prix qui ne sont plus rémunérateurs pour ceux qui les ont produits.