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D’ÉPICTÈTE.

rencontrent, être le dernier partout, dans les honneurs, dans les dignités, dans les tribunaux, dans la moindre affaire[1].

Considère toutes ces choses, et vois si tu veux, en échange, acquérir l’impassibilité, la liberté, l’imperturbabilité ; sinon, n’approche pas de nous ; ou, comme les enfants, tu seras aujourd’hui philosophe, demain publicain, ensuite rhéteur, ensuite procurateur de César. Toutes ces choses ne s’accordent pas ensemble. Il faut que tu sois un seul et même homme, ou bon ou mauvais ; il faut que tu donnes tes soins ou à la partie maîtresse de toi-même ou aux objets extérieurs ; il faut tourner ton art vers les choses du dedans ou vers celles du dehors, c’est-à-dire qu’il faut tenir le rang de philosophe ou d’homme ordinaire.


XXX

la mesure des devoirs.


Les devoirs se mesurent en général aux relations où nous nous trouvons placés. Tu as un père : il t’est ordonné d’en avoir soin, de lui céder en tout, de supporter qu’il t’injurie, qu’il te frappe. — Mais j’ai un mauvais père. — Est-ce donc que tu es lié naturellement à un bon père ? Non, mais à un père. — Mon frère me fait injustice. — Conserve à son égard ton rang de frère ; et n’examine pas ce qu’il fait, mais ce que tu dois faire pour conformer ta volonté à la nature. Nul autre que toi, en effet, ne te lèsera si tu ne le veux, et tu ne seras lésé que si tu crois l’être. De

  1. Cela rappelle la parole du Christ : « Les derniers seront les premiers. » — Mais, d’après le christianisme, ils seront les premiers dans l’autre monde, dans la vie future ; d’après le stoïcisme, ils sont les premiers dès maintenant, en cette vie ; cette première place, ils ne la doivent à personne, pas même à Dieu : ils se la doivent à eux-mêmes, ils la possèdent dans leur conscience.