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Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/10

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aucune disposition pour les affaires ; tous ses goûts le portent vers les arts, vous l’avez sans doute constaté… Lorsque mon frère est revenu du régiment, papa, touché par ses prières, lui a permis de se livrer entièrement à sa vocation : René est sculpteur. Depuis deux ans, il bûche avec acharnement… et il se heurte à tant de haines, le pauvre garçon ! Le monde des rapins et des ratés ne lui pardonne pas d’avoir un père qui gagne de l’argent. Les vieilles barbes lui refusent le droit d’exposer, parce qu’il n’a pas passé par l’École. Il n’y a que les vrais artistes qui lui reconnaissent du talent.

— Vous m’apprenez une nouvelle, Mademoiselle !… Votre frère ne m’a jamais écrit cela.

— René préférait s’associer à votre réussite au lieu de vous narrer ses déboires… Voilà pourquoi ses lettres questionnaient, au lieu de raconter.

Jacqueline poursuit, avec une légère hésitation :

— Et puis… Il y a un certain temps que vos occupations, de part et d’autre, vous ont empêchés de correspondre.

Une même gêne imperceptible se distingue chez Hans, tandis qu’il réplique :

— Le métier d’auteur nous enseigne la paresse épistolaire… Le porte-plume pèse autant qu’une épée, après une journée de travail.

Jacqueline change brusquement de conversation. Elle demande :

— C’est la première fois que vous venez en France ?

— Oui, Mademoiselle.

— On ne le dirait guère : vous parlez si purement notre langue !

— C’est la première fois que je suis en France, mais ce n’est pas la première fois que je suis à Paris.

— Je ne comprends pas ?

Schwartzmann explique, avec un sourire : Je passe une grande partie de l’hiver à Monte-Carlo. N’est-ce pas une succursale de Paris : on y rencontre presque autant d’étrangers — et plus de Parisiens encore… Les croupiers du casino m’ont appris à dire : « rouge » et « noire ». Et les notes d’hôtel du Régina-Palace m’ont engagé à surveiller ma prononciation : du jour où j’ai pu marchander sans accent, on m’a volé moitié moins.

Jacqueline retrouve l’ironique Schwartzmann qu’elle s’était représenté à travers les confidences de René. Hans continue : J’ai décidé ce voyage à Paris, pour accompagner deux amis de Berlin : Mlle Caroline Fischer et son frère, le métallurgiste… Hermann Fischer a des affaires qui l’appellent en France, dans le Bourbonnais ; il en profite pour s’amuser ici, pendant une dizaine de jours… Et moi, j’avais le désir de revoir votre frère. Il habite avec vous, n’est-ce pas ?

— René a sa chambre dans notre appartement du boulevard Haussmann et il prend presque tous ses repas à la maison, mais son atelier se trouve rue du Luxembourg.

— Madame votre mère est morte depuis longtemps, je crois ?

— Oh ! oui… depuis douze ans.

— Tant pis.

Remarquant l’air étonné de Jacqueline, Schwartzmann achève :

— J’aurais été enchanté de la connaître. Alors… Il ne vous reste que votre père ?

— Et mon grand-père qui vit auprès de nous.

— Que fait-il, votre grand-père ? Il est aussi dans les affaires ?

— Grand-père !… Il ne fait plus rien : il a soixante-seize ans… Mais, durant trente ans, il fut représentant