Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/31

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Aimé à son magasin. Les invitations flatteuses, les plaisirs divers, les Allemands retrouvés à Paris ne parvenaient point à distraire Hans de la prédilection qu’il marquait à ses amis Français.

Il ne se lassait pas de bavarder avec René, à l’atelier, dans la pénombre du crépuscule ; ou de regarder curieusement M. Bertin évoluer à travers son magasin, parmi les clientes empanachées ; ou encore, de descendre lentement la rue de la Paix, accompagné de Jacqueline ; savourant la jouissance d’avancer, au milieu de ce décor luxueux, aux côtés d’une jolie fille élégante que chaque passant lui enviait une seconde.

Cet engouement que manifestait l’illustre Schwartzmann chatouillait la vanité des Bertin.

« Mes enfants se préparent de belles relations », se disait le modiste.

« Hans m’a conservé toute son affection ! » pensait René, avec le léger remords de n’avoir pas payé de retour un ami si dévoué.

« Il me fait la cour », songeait Jacqueline, enivrée d’orgueil intime.

Quant à Michel, son antipathie exacerbée se soulageait sous forme d’humour bourru. Il s’était écrié, parlant de l’Allemand : « Sapristi ! Je crois que cet être-là est de la nature des cors : plus on en souffre, plus ils sont tenaces. » Et il accueillait Hans avec une politesse distante.

Un soir que Schwartzmann avait dîné chez Aimé Bertin ainsi que les Fischer, René, attendri, ne put s’empêcher de remercier l’écrivain de ne point délaisser ses amis, malgré les connaissances nombreuses qui eussent voulu l’accaparer. Hans répondit gravement :

— C’est justement parce que je rencontre chez vous ce que les autres ne m’ont pas donné : un foyer ami où je puis m’asseoir, sans l’affreuse contrainte d’y rester « l’étranger ». Je suis mêlé à votre vie privée ; et il me semble que je sois un peu votre parent en voyant un frère et une sœur, un père et ses enfants se serrer, pour me laisser une place à côté d’eux…

Et il murmura, en adressant à Hermann Fischer un sourire bizarre :

Eine französische familie !…

Puis, se tournant vers les Bertin, il conclut :

— Vous êtes ma famille française.

Quelques jours avant de quitter Paris, Hermann Fischer manifesta le désir d’assister à des expériences d’aviation.

Un dimanche, escorté de sa sœur et de Hans, il vint à l’improviste chez les Bertin pour leur proposer une promenade à l’aérodrome de Buc. Le modiste était seul. Il accepta d’accompagner les Fischer, puis, ajouta :

— Il faut que j’envoie prévenir mes enfants… Jacqueline et René sont à l’atelier, mon fils y travaille, je crois.

— Je vais les chercher, dit Schwartzmann. Partez avec mes amis : nous vous rejoindrons.

L’écrivain se fit conduire rue du Luxembourg.

La porte de l’atelier était encore entrebâillée, trahissant les habitudes négligentes de René : Hans médita un moment devant cette porte mi-close, car c’était un homme réfléchi auquel le spectacle des choses les plus superficielles inspirait des pensées profondes : cette tournure d’esprit est commune aux philosophes ; elle l’est également à M. Homais.

Puis, entendant du bruit et des rires, Hans entra dans l’atelier et s’immobilisa sur le seuil, pétrifié par la scène imprévue qui s’offrait à ses regards.