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Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/32

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Assises côte à côte, les mains entrelacées, Luce Février et Jacqueline Bertin mariaient leurs voix joyeuses dans un bavardage animé. Debout, à quelques pas des deux jeunes filles, René, souriant, les écoutait tout en donnant des petits coups d’arrosoir sur une forme de glaise emmaillotée de linges mouillés.

Hans se sentit intimement choqué de voir le sculpteur tolérer une familiarité aussi scandaleuse entre sa propre sœur et son modèle, cette jeune actrice équivoque qui s’intéressait si tendrement à René.

Le visage de Schwartzmann exprimait une telle incertitude, qu’en l’apercevant, René comprit tout de suite le malentendu. Et tandis que Jacqueline, poussant un léger cri, s’exclamait :

— Oh ! J’ai eu peur… Je croyais que c’était papa. Nous sommes très imprudents !

René se confia franchement à son ami. Il lui conta de quelle manière il avait connu Luce ; le projet qu’ils avaient formé ; l’opposition devinée de M. Bertin ; et leurs relations présentes ; les visites de Jacqueline, qui rencontrait parfois Luce à l’atelier sans que le modiste s’en doutât.

Les jeunes filles s’étant un peu éloignées d’eux, René en profita pour continuer à voix basse :

— Cela peut étonner — n’est-ce pas, Hans ? — ces amours si sages chez des gens si libres… Aucun obstacle, nul préjugé ne nous défendent contre nos vingt ans. Elle est chaste, mais je sais qu’elle m’aime… qu’elle céderait sans doute, si j’étais pressant… Eh bien ! aux heures insidieuses où la tentation m’enfièvre, lorsque je me penche sur son visage pour goûter enfin ma joie, je n’ai qu’à voir ses prunelles si pures et si loyales m’envelopper d’une affection intense… Et je sens que je serais incapable de salir ce bonheur douloureux et doux qui nous attache l’un à l’autre, — ainsi que des forçats, ligotés deux à deux, qui se caressent du regard sans pouvoir bouger… Ça fait très mal d’aimer pour de bon, mon cher Hans !

René reprit, d’un accent plus ferme :

— Je ne vous demande pas de me garder le secret auprès de mon père ?

— Oh ! mon cher…

Schwartzmann protestait du geste. Puis, changeant brusquement d’entretien, il parla de l’excursion à Buc. À la grande stupeur de l’écrivain, René et Jacqueline parurent consternés.

Quel dommage que cela tombe juste aujourd’hui ! gémit la jeune fille.

— C’est à cause de l’Arpète ! continua René.

La mine interloquée de Schwartzmann divertit follement Luce Février. Surmontant l’aversion qu’il lui inspirait, la comédienne lui adressa la parole, expliquant :

— Mme Lafaille a téléphoné hier à René qu’elle passerait ici cet après-midi avec son architecte… De l’entrevue, va dépendre la commande de la figure qui décorera la chapelle funéraire de Jean Lafaille. René l’obtiendra-t-il ?… Vous comprenez : nous sommes trop anxieux de savoir, pour quitter l’atelier aujourd’hui !

Jacqueline, se rapprochant, intervint doucement :

— Mais, je peux accompagner M. Schwartzmann, moi… Si René est libre assez tôt, il n’aura qu’à se rendre à l’aérodrome pour nous apprendre le résultat de la visite… Or, rien ne me force à rester ici : seule, la présence de mon frère est indispensable.

René considéra sa sœur avec une amertume mélancolique : comment, elle le quittait sans hésitation à l’instant