Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/74

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assistance trop chaleureuse l’eût déplorablement attendri.

Les deux jeunes gens sautèrent dans une voiture et se rendirent chez Maurice Simon.

René Bertin, redevenu très maître de lui, exposa ses désirs à ses témoins : la rencontre fixée dans le plus bref délai, le duel au pistolet, les conditions les plus rigoureuses.

Il ajouta :

— Schwartzmann les acceptera… Je le présume… Il en a regardé d’une manière si singulière, presque repentante… Je pressens que ses témoins auront mandat de se conformer à vos exigences.

Maurice Simon — que son amour enragé de la réclame avait poussé jusqu’aux mystifications de la peinture cubiste — remarqua :

— Dame ! Ça va lui faire une publicité monstre, à ton Schwartzmann, ce duel à propos d’un livre… Il risquera volontiers sa peau pour vendre son bouquin.

René fronça le sourcil. La réflexion du peintre lui rappelait ses propres appréhensions : étant donnée la vogue de Hans Schwartzmann, cette affaire aurait un retentissement énorme. Il songea aux milliers d’individus que la malice d’un artiste cloua au pilori — personnages trop ressemblants d’un tableau de maître ; politiciens que harcela un roman à clé ; victimes d’un caricaturiste ; — et qui n’osèrent protester, ni poursuivre, ni se venger ; trop lâches, trop sages ou trop couards ; craignant l’opinion publique, injuste et redoutable, qui les eût couverts de ridicule et mis les rieurs du côté du coupable.

Il cherchait un expédient qui atténuât l’esclandre. Il déclara enfin :

— Il dépend seulement de la bonne volonté de Schwartzmann qu’il ne soit fait aucune allusion au livre, quand le bruit de notre rencontre se répandra… Je pense avoir un moyen de le contraindre au silence… Pendant son séjour à Paris, Schwartzmann avait fréquemment accompagné ma sœur dans ses sorties : son assiduité pouvait exciter la malveillance de notre entourage. Un jour, je lui en parlai, à mots couverts ; et Hans me répondit d’une façon bien inattendue, en sollicitant la main de Jacqueline — mais secrètement, de lui à moi, — et il invoquait, pour prétexte à ce mystère, l’opposition violente qu’un membre de ma famille apporterait à ses projets. Or, à cette époque, il était déjà fiancé : il avait l’intention de se marier ailleurs ; et il se jouait de moi, de ma confiance, afin de continuer d’étudier librement cette âme féminine et le milieu où Jacqueline vivait, pour s’efforcer de dérober ce cachet « très parisien » qu’il voulait donner à son futur roman. Mes amis, je vous demande d’invoquer cette unique raison, en l’abordant : il a manqué à sa parole envers moi… C’est une cause amplement suffisante. Vous ne mentionnerez pas son livre… affectez de l’ignorer.

René conclut pensivement :

— Il comprendra… Le rappel d’une indélicatesse qui, cette fois, si elle était connue, ne lui vaudrait aucun profit et l’entacherait de quelque honte, incitera Schwartzmann à se taire. Ce sera la classique formule des rencontres pour des motifs d’ordre privé.

Les trois jeunes gens se séparèrent, après avoir convenu que Paul Dupuis et Maurice Simon se présenteraient le lendemain, à midi, chez Schwartzmann.

René Bertin rentra boulevard Haussmann. Tandis que la voiture le ramenait à son domicile, il éprouva un léger