Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/29

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avez la grâce fine et ployante des cygnes, leur blancheur fuyante et souple, mais une femme sur cent possède votre séduction et votre joliesse blonde ;• et une femme sur cent, ça finit par faire beaucoup, dans tout l’univers… Il y a aussi d’autres beautés que celle des femmes pour caresser nos yeux : regardez le panorama prestigieux qui nous entoure, les dentelures pâles des montagnes, la masse sombre du château ; et là-bas au lointain, la pointe du cap Ferrat, se dessinant sur la mer, comme un fil de soie verte sur la nappe bleue de l’eau… Regardez aussi ce superbe lévrier qui passe devant nous : avec sa fourrure argentée et sa démarche onduleuse, son museau pointu, sa longueur frêle, n’est-il pas admirable à contempler dans sa splendeur animale ? N’est-ce pas que la beauté se rencontre partout pour qui sait la voir ? Tandis que je me demande s’il existe une femme capable d’écouter, comme vous l’avez fait, les choses blessantes que je vous ai dites, tout à l’heure. Voilà pourquoi vous m’avez plu. Une autre eût protesté, fût partie, piquée au vif dans son amour-propre (l’amour-propre, cette vanité de l’amour). Vous, vous êtes restée, courageusement. Vous avez tenu tête : le silence du mépris vous a semblé une piètre attitude. C’est très bien. C’est le fait d’une nature originale… si rare chez la femme. J’ai quarante-cinq ans, mademoiselle. Je ne me souviens pas d’avoir eu une maîtresse qui fût une créature intelligente, capable de penser toute seule… Je crois, voyez-vous, que Prométhée n’est qu’un imposteur : il a prétendu, comme cela, qu’il avait dérobé le feu sacré, par vantardise, pour faire parler de lui. En réalité, il n’a pas osé aller jusqu’au bout, et Pandore est toujours restée une belle statue sans âme. Que ça tombe mal, avec moi : je suis un cérébral, et mon désir ne se contente point des attraits physiques !… Les marina niçois de la vieille ville, du quartier du Malonat, cuisinent une spécialité exquise : la soupe au poisson. C’est une sorte de bouillabaisse liquide, de homard condimenté de safran. Croyez-vous que, sans la sauce, le poisson aurait le même goût ? Le vieux proverbe a du bon. Un beau corps de femme… qu’est-ce, cela ! sans le sel de l’esprit, le safran des vices rares et le poivre de la personnalité ?

— Supposez-vous que je doive être bien assaisonnée ?