Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son étreinte brusque et la bouffée de joie qui épanouit son visage me font tout oublier. Tant pis pour le bonheur gâché que je vais émietter… Je sens que cet homme me tient, que j’aime de lui les moindres choses et les dons rares, sans distinction ; j’aime l’odeur légère de sa moustache et le regard étrange de ses yeux enchâssés sous les paupières lourdes ; je frémis d’admiration quand il me parle comme lui seul sait parler ; et le soir, dans ma chambre, je me grise en relisant ses œuvres ; le matin, j’ouvre mon journal avec fébrilité lorsque c’est son « jour » de chronique. Il me possède irrémédiablement : ne pensons plus aux mauvaises paroles qu’il m’a dites.

Il me conduit, enlacée à lui, dans sa chambre. En passant par son bureau, il me désigne, à l’angle de la pièce, un chiffonnier sur lequel un vase de cristal au long col supporte la rose floraison d’une branche d’amandier. Il dit :

— C’est là que je place vos lettres, dans le tiroir de gauche. Je me plais à les relire avant de travailler.

Sa chambre bien qu’assez obscure, me semble inondée de clarté. Il devine mon désir et détache les rideaux d’étoffe. Nous voici dans la pénombre. Je me raidis pour rester immobile — avec une folle envie de me sauver.

— Que je vous aime, ma Nicole, pour m’avoir ménagé cette surprise de rester !

Peu à peu, ses mains caressantes dégrafent mes vêtements, avec un tact insinuant : c’est un frôlement discret, sans heurt, sans maladresse… Il me semble que je suis changée en un bloc de neige, comme le héros pyrénéen, tant je me sens glacée, figée par une terreur grandissante. Il appuie ses lèvres à mes épaules découvertes, murmurant des mots confus, et les mouvements de sa bouche, en les articulant, chatouillent ma peau à petits coups rapides. Il me porte sur le lit, demi-nue. Je pèse dans ses bras comme une masse inerte, je ne peux plus remuer, paralysée d’effroi… et pourtant, je veux être à lui ; j’ai promis.

Tout à coup, d’un élan désespéré, je romps le charme, je me dresse et crie d’une voix rauque qui n’est plus la mienne :

— Non ! Non ! Je ne veux pas… Laissez-moi…

Et je lutte, je résiste, les mains griffantes,