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Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/65

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Ces précautions maternelles qui pallient l’insouciance habituelle de ce père faible et excellent, me déchirent la gorge d’un attendrissement brusque et violent, aux hoquets bruyants ; et ma douleur crève en sanglots d’agonie… Toute la nuit, je pleure ainsi sans que la fatigue parvienne à m’assoupir, veillée par papa qui est resté en frac, un camélia double à sa boutonnière, et qui murmure désespérément :

— Mon Dieu… Si elle allait tomber malade… La fièvre typhoïde débute quelquefois par une crise de larmes… Pauvre petite ! Elle qui se réjouissait toute la journée en pensant à ce bal du Casino.





XV

Je suis restée couchée trois jours, prostrée dans ma détresse. Le docteur, appelé en toute hâte, a tripoté mon poignet d’un air indécis, pour diagnostiquer finalement : « Surexcitation du système nerveux. Peut-être n’a-t-elle rien, peut-être couve-t-elle quelque chose : les symptômes sont vagues… Attendons. » Papa, toutes les deux minutes, s’approchait de moi, palpait mes joues brûlantes, d’une main délicates et timide. Hélas ! ce n’était pas la fièvre qui empourprait mes pommettes chaudes — mais la rougeur cuisante d’une humiliation terrible… Dire qu’il est parti sans un adieu, semant mon souvenir derrière lui, avec mépris, comme on jette l’écorce d’un fruit…

Quand je songe qu’il a cédé à la menace de Paul, aux craintes que lui inspirait mon père, ce Claudières peureux et menteur !…

Il est poltron et fourbe. Je ne sais ce que je déteste le plus, de sa fausseté ou de sa lâcheté…

Qu’il redoute papa, passe encore… Mais pourquoi cette cruauté superflue de m’abuser d’une promesse perfide ? Pourquoi m’avoir trompée sans raison ?… Sans raison ? Ah ! J’y pense… Comme Jean paraissait épris après le départ de Paul, l’autre jour ! Mes larmes, mon effroi, mon désordre, tout semblait le tenter, et cette sollicitation pressante avant que je le quitte… Le misérable : s’il m’a bouleversée ainsi en faisant luire à mes yeux un avenir de bonheur, c’était pour me garder une heure de plus docile et domptée ; pour assouvir son caprice — sans se soucier des conséquences ; et il avait déjà