Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/114

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Maria y dressait le couvert. Ils la regardaient, d’un œil stupide, poser les verres et les assiettes sur la nappe. Ils ne savaient plus à quoi pouvaient servir ces objets, ayant perdu la notion du boire et du manger, ne pensant guère que l’heure du repas approchait et que la vieille servante, immuable en ses habitudes, mettait la table parce que c’était le moment habituel, tout en pleurant silencieusement parce que « Madame » venait de mourir.

Laurence murmura tout à coup, sortant de sa torpeur :

— Je comprends maintenant la raison de ma tristesse depuis ce matin : avertissement, pressentiment… Est-il possible, François, mon cher François, que tout soit fini ?

Le jeune homme mit la tête dans ses mains, cachant son visage, étouffant ses cris. Sa sœur pensait, en considérant ce dos secoué de sanglots : « Si je pouvais pleurer aussi, moi… peut-être que cela soulage… Mais je ne peux pas ; je ne peux rien faire ; je suis comme ankylosée. »

— Mademoiselle… Monsieur, disait timidement Maria. C’est servi.

— Oh ! non.

D’un même geste d’écœurement, ils refusaient de dîner.

La domestique insista :

— C’est miss Bessie qui m’a ordonné…

— Parfaitement, c’est moi.

Bessie allait et venait dans l’appartement, dirigeant tout, veillant à tout, ayant pris déjà pleine autorité sur Maria.

Voyant qu’ils s’obstinaient, elle leur dit :

— Vous n’allez pas me laisser seule à table.

Résignés, ils s’installaient afin qu’elle cessât ses instances. Ils ne touchaient pas à ce qu’elle mettait dans leur assiette. Dépitée, Bessie intima :

— Il faut manger… Oh ! je vais bien vous forcer.