Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/147

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traités de fous, devenaient à ses yeux les apôtres de la grande sagesse.

« Frère, il faut mourir. »

L’homme naît avec cette fatalité attachée à son corps. Sa chair en lente désagrégation est la tunique de Nessus qui vaincra le plus fort. La mort est le seul but, la seule réalisation, la seule vérité. Et les hommes vivent presque tous comme s’ils possédaient l’éternité.

Après des détours, des piétinements, des arrêts sous la pluie des projectiles, François rejoignit l’endroit désigné.

Ses hommes, placides, échangeaient des propos gaillards avec les soldats du poste.

Pendant trois ans, François s’était cru endurci. Aujourd’hui, la mort lui apparaissait dans toute sa hideur parce qu’elle avait touché sa mère. Et, frappé de terreur, il enviait l’insouciance de ses compagnons, cette insouciance qu’il partageait encore hier.

Il pensait, suivant cette superstition militaire qui veut que le soldat ait un avertissement précurseur du jour où il y restera :

— Suis-je marqué ? Sera-ce mon tour, demain ?…

Subitement, une gerbe de détonations le rappelaient à la réalité. Les projectiles se multipliaient ; les obus explosaient avec un roulement qui se répercutait.

François, attentif et impassible, transmettait les ordres du capitaine :

— Répondez… Déclenchez le tir.