Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gence précoce de la jeune fille, cette intelligence gasconne, fine et subtile, qui lui permettait de saisir rapidement les questions d’affaires, attirait l’attention de Thoyer sur sa personne physique : il remarquait seulement ces beaux yeux bleu foncé pétillants d’esprit, ce visage au teint de camélia, ces lèvres juvéniles qui proféraient des propos de jurisconsulte. La grandeur d’âme de Laurence lui échappait, mais il était séduit par l’originalité de cette logique pratique si rare chez une femme. Chaque homme éprouve à sa façon : seul, le langage de la chicane était capable de toucher le cœur de Thoyer.

Il dit, avec une nuance de cordialité :

— Vous comprenez, moi, j’aimerais mieux voir votre frère rendu à la vie civile… À quoi cela me sert-il que M. d’Hersac se fasse trouer la peau ?

Laurence riposta du tac au tac :

— Mon Dieu, Monsieur, ça vous a déjà servi… Sans lui, vous seriez peut-être encore à Bordeaux.

Thoyer était trop grossier pour te sentir blessé par une impertinence.

Il déclara tranquillement :

— Tout cela ne vaut pas de l’argent comptant… En somme qu’étiez-vous venue me proposer ?

— Vous demander de nous accorder des délais et de ne point exécuter votre menace de saisie.

— Mon huissier a déjà reçu des ordres.

— Monsieur, vous ne ferez pas cela… Cette vexation, cette humiliation tueraient ma mère : je n’exagère pas. Elle est si fragile, si débile !

— Payez…, j’arrêterai les poursuites.

Thoyer ajouta :