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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/36

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Le chauffeur grogne ; Laurence trépigne, au point qu’une légère poussière s’élève du paillasson de la voiture. Et l’auto gronde, comme exaspérée elle aussi, par cette lenteur obligatoire.

Enfin ! C’est de nouveau la pleine campagne. Le chauffeur, qui a consulté sa carte, file à une vitesse folle sur la route de Saint-Cyr. De chaque côté de Laurence, les arbres semblent courir les uns après les autres, les champs de blé coulent comme un fleuve d’or, les champs de luzerne comme une mer glauque. Étourdie par cette allure vertigineuse et par cet air pur qui la fait suffoquer, Laurence s’abandonne sur les coussins de la voiture, anéantie, annihilée, grisée : elle n’a rien mangé depuis le matin et l’air de la campagne l’enivre ainsi qu’un vin trop généreux. Mais la jeune fille éprouve une certaine douceur de ce malaise qui va jusqu’à la nausée : car sa faiblesse et son engourdissement lui font perdre la notion du temps.

Tout à coup :

— Eh bien ! Nous y sommes au Perray… Ousqu’il est votre hôpital ?

Laurence tressaille et domine sa faiblesse pour se concerter avec le chauffeur sur la direction probable. Ils s’orientent, aperçoivent à un demi-kilomètre un bâtiment gris où flotte la Croix-Rouge. C’est là.

Laurence descend, les jambes fauchées. Elle cherche à courir vers l’ambulance ; ses pieds ont un mal infini à soulever le poids soudain alourdi des muscles affaissés. Elle parvient enfin aux fenêtres grillées du rez-de-chaussée d’où s’échappe une odeur de cuisine indiquant la salle à manger. Il est une heure et demie. À travers les barreaux, Laurence aperçoit une table desservie d’où se lèvent deux infirmières toutes blanches et trois uniformes.