VI
Laurence s’était assise sur un talus, au bord de la route, et pleurait silencieusement en calculant : « Nous sommes partis à dix heures et demie. Il est près de trois heures. Bientôt cinq heures que maman est seule ; et me voilà immobilisée à vingt kilomètres de Paris ! »
Elle se laissait aller, lâchement, à une prostration extrême en face de la fatalité mauvaise.
Le chauffeur, debout au milieu du chemin désert, guettait obstinément à l’horizon. De temps en temps, il répétait :
— Si un copain pouvait passer, bon sang !
Le grand silence des champs entourait cette fièvre et cette agitation de son calme immense : muette raillerie de la nature indifférente à l’homme.
Tout à coup, le chauffeur poussa un cri de joie :
— Une bagnole !
Une trépidation lointaine — moteur d’auto ou d’avion ?… Mais un léger nuage de poussière les rassurait bien vite : c’est une auto qui se rapprochait d’eux, peu à peu.
Le chauffeur mit ses mains devant sa bouche et hurla :
— Héhà !… Héhà !… Ohé !…
Une mince et légère voiture à hautes roues stoppa à dix pas. Elle était inoccupée. Au volant, un jeune soldat américain, glabre et frais, offrant un visage d’enfant sous son feutre crânement cabossé, examinait curieusement ce groupe étrange : une auto en panne, une jeune fille en larmes et ce chauffeur congestionné.