Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/80

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les, ses tas de décombres amoncelés, ses derniers habitants obstinés, terrés dans leurs caves ; tandis que, sérieux, parfois souriants, toujours résignés, les héroïques défenseurs de T…, cramponnés à ce lambeau de terre, attaqués, bombardés, asphyxiés, s’acharnaient dans la résistance, stoïques comme des soldats du Premier Empire et plus admirables encore — au point de vue philosophique — puisque ce n’est plus le prestige d’un HOMME qui les soutient : ils n’ont plus de fanatisme, ils n’ont qu’une conscience.

On ne se bat plus pour gagner des galons : la plupart de ces guerriers n’aspirent qu’à redevenir civils. On ne se bat plus pour le chef de l’État : quand les grenouilles demandent un aigle, elles ne se soucient guère de leur soliveau. On ne se bat plus pour la gloire, car le progrès nous a enseigné l’horreur du sang : on donne le nom d’assassinat au crime d’un homme et le nom de guerre au crime d’un peuple.

Non. Ceux de notre époque se battent obscurément, sans ambition, sans ivresse, sans révolte, — simplement pour sauver encore une fois l’âme latine du joug des Barbares — par un sublime instinct de race.

En 1814, on disait : « l’Empereur. » En 1914, en a dit : « La France. »

Et devant cet exemple d’un peuple qui n’a même plus besoin d’un chef pour savoir se conduire, d’un gouvernement pour se gouverner, mais qui garde tout seul son honneur national les armes à la main, la jeune Américaine, enthousiasmée, avait un élan de patriotisme qui l’entraînait à dire naïvement à son oncle :

— Mon Dieu ! Pourvu que l’Allemagne ne fasse pas la paix avec eux avant que nous ayons le temps de combattre à leurs côtés !

Cette impression d’ensemble n’empêchait