Page:Marais - Les Trois Nuits de Don Juan.djvu/122

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Thérèse Robert l’avait écoutée, sans l’entendre ; l’air absent, les yeux lointains ; on devinait sa pensée absorbée ailleurs. Avec l’égoïsme de la douleur vive, elle répondit à Francine :

— Vous n’avez pas souffert autant que je souffre. Après chacune de vos déceptions, renaissait une autre espérance… Tandis que moi !… Avez-vous éprouvé ce supplice…

Elle se levait, allait vers une psyché, et continuait, le doigt braqué sur son image :

— Ne pouvoir se regarder dans la glace sans qu’une boule de sanglots refoulés vous étrangle à la gorge. Pétrifiée de détresse à la vue du visage informe qui ricane au fond du miroir, s’écrier : « C’est à moi, ce masque de Gorgone ! » Et se sentir la langue sèche, la poitrine étreinte, la tête en feu, à l’idée de vivre irrémédiablement sous cette enveloppe de chair qui trahit l’être spirituel… Elle finit par me brûler de son contact abhorré : c’est une tunique de Nessus. Dire que je la dépouillerai seulement au tombeau, quand la mort pourrira graduellement ma déchéance physique —