Page:Marais - Nicole, courtisane.djvu/58

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d’un père trop faible, camarade exquis mais tuteur dangereux. À dix-huit ans, admirablement désarmée contre la vie, grâce à cette éducation spéciale, j’ai appris à vivre : je me suis éprise follement d’un homme de talent, raffiné, cruel, sensuel, un peu mufle — humain, enfin ! qui s’est amusé de moi, et m’a quittée, me laissant vierge de corps, mais l’âme perdue. Voilà toute ma vie d’avant. Je n’ajouterai pas, pour terminer mon histoire à la façon des autres femmes, que je suis fille d’un ancien officier supérieur : monsieur Fripette n’était que vaudevilliste. Je ne vous dirai pas non plus que l’homme qui a saccagé l’existence de Nicole jeune fille, fut responsable de l’existence que choisit Nicole courtisane. Si nous ne sommes point maîtres de notre destin, nous restons maîtres de nos décisions. Et la pierre qui me fit trébucher sur la route fut-elle tout à fait cause que je tombai dans le sentier voisin ? Seulement, ce que je puis vous déclarer, en toute sûreté, c’est que cette passion inachevée m’a dégoûtée à jamais d’aimer. Si son souvenir persiste aussi longtemps, c’est peut-être parce qu’elle ne fut point satisfaite… Le désir ressemble à la faim : on l’endort dès qu’on le