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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

Peu après son retour dans sa patrie, Montesquieu se retira au château de La Brède, où il jouît quelques années de ce précieux recueillement, dont le tourbillon du monde sert à mieux faire goûter la douceur ; et dans ce recueillement profond, il composa ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence ; ouvrage[1] où il a déployé toute la sublimité de son génie.

Ce n’est pas aux yeux des sages qu’un aveugle destin gouverne le monde. Les Empires, comme leurs habitans, croissent, dépérissent et s’éteignent. Ces vicissitudes ont toujours des causes dont l’enchaînement ne sauroit échapper à l’œil d’un vrai observateur, à portée d’en examiner le jeu. Mais lorsque les nations n’existent plus que dans l’histoire, comment démêler l’inflüence de ces causes, comment saisir ces causes elles-mêmes ? Fortuites ou obscures, la plupart ont échappé aux contemporains, et la nuit des tems les dérobe à la postérité. À l’égard des peuples dont la politique offroit un système suivi, et qui ont joué un grand rôle dans le monde, rarement les causes qui les ont élevés, maintenus ou précipités manquent à leur histoire. Mais elles sont éparses dans une multitude de volumes, où l’on est réduit à les chercher. Or il faut voir avec quelle sagacité Montesquieu a su saisir celles de la grandeur et de la décadence des Romains.

En fouillant dans les annales de ces maîtres du monde, rien ne lui échappe ; il observe leurs mœurs, leurs coutumes, leurs loix ; ensuite il pèse leur conduite envers les différentes nations qu’ils avoient soumises, ou qu’ils avoient à soumettre. Puis il examine les effets nécessaires des vices de la constitution de Rome, et les suites funestes de cette ambition sans bornes, de ce dessein de tout envahir.

  1. Il fut publié en 1734.