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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

s’élever contre la torture, il feint de vouloir l’examiner sous certains rapports, et voici comme il s’exprime : « Tant d’habiles gens et tant de beaux génies ont écrit contre cette pratique, que je n’ose parler après eux ; j’allois dire qu’elle pourroit convenir dans les gouvernemens despotiques, où tout ce qui inspire la crainte entre dans les ressorts du gouvernement. J’allois dire que les esclaves chez les Grecs et chez les Romains… Mais j’entends la voix de la nature qui crie contre moi[1]. »

Après avoir réfuté deux différens systèmes sur la monarchie des François, dont l’un semble être une conjuration contre le Tiers-État, l’autre une conjuration contre la noblesse ; il ne perd point le temps à de longues réflexions, un trait indirect lui suffit, et il le trouve dans les avis du Soleil à Phaëton, lorsqu’il lui donna son char à conduire. Belle leçon cachée sous des fleurs !

C’est l’invocation à Vénus par Lucrèce, qui forme le début du XXIIIe livre de l’Esprit des Loix. L’auteur y traite de la population ; Vénus est l’emblême de la fécondité : se pouvoit-il un début à la fois plus convenable et plus riant ?

Jamais auteur ne sut mieux prendre le ton de son sujet.

À la clarté et à la pureté réunissant toujours l’élégance, il est animé, léger et piquant dans les Lettres Persanes ; naïf et fleuri dans le Temple de Gnide ; nerveux, rapide et sublime dans la Grandeur des Romains ; noble et harmonieux dans l’Esprit des Loix ; simple, léger dans la défense de l’Esprit des Loix. Mais dans tous ces ouvrages, son style a encore des caractères particuliers qui sautent aux yeux du connoisseur. Quelquefois il manque de nombre et paroît marcher par bonds, par saillies ; mais toujours d’une rapidité prodigieuse et d’un laconisme admirable, il

  1. Esprit des Loix, liv. 6, chap. XVI.