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La cohorte féminine parisienne venait d’arriver. Les gardes-du-corps l’empêchèrent d’entrer dans les cours : un jeune homme, qui était à la tête, essaya de percer ; quatre d’entre eux sortirent des rangs, et le poursuivirent à coups de sabre jusque dans une boutique, où il s’était réfugié. À leur retour, le dernier eut l’épaule cassée par une balle que lui envoya un bourgeois indigné. Les gardes-du-corps se disposaient à fondre sur la milice nationale : pour les empêcher d’avancer, les soldats de Flandre firent volte-face, et se réunirent aux citoyens. Les soldats de la[1] patrie n’avaient point de munitions : ils en reçurent de leurs nouveaux camarades, qui déjà murmuraient hautement de la conduite atroce des satellites royaux. Jusqu’alors M. d’Estaing n’avait point paru, il s’était renfermé avec le roi et les ministres ; mais bientôt il accourt, et fait tous ses efforts pour engager la milice nationale à se retirer. Sous un prétexte spécieux, il essaie de lui enlever deux canons qui étaient devant les casernes : elle s’y oppose. Il va, vient, court, parle aux gardes-du-corps, et revient assurer la milice nationale qu’ils sont prêts à prendre la cocarde patriotique, et à faire serment de fidélité.

Les compagnies aristocratiques se débandent. Peu après, il renvoie les soldats de Flandre et les dragons, qu’il a soin de faire renfermer dans la grande écurie, pour les retrouver au besoin.

  1. M. la Tourillière, capitaine d’artillerie de la milice nationale, chargé des munitions, vivement pressé de les délivrer, distribua trente cartouches par compagnie de 110 hommes, en protestant qu’il n’en avait pas davantage. On voit que la municipalité de Versailles n’avait pas été moins prévoyante que celle de Paris, et que, sans la fraternité des troupes soldées, les citoyens jouaient à un beau jeu. Ce défaut de munitions, qu’elles ne manqueront pas de colorer, est un trait de trahison si noir, qu’il mériterait un châtiment capital. Après cela, fions-nous à la vigilance de nos fidèles administrateurs. Mais les Parisiens sont si simples, que je parie, contre qui voudra, que cette leçon ne leur a servi de rien, et qu’aujourd’hui même ils sont au dépourvu. (Note de Marat)