Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/138

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prête peu, ma dénonciation n’en aurait pas moins de force : je vous traduis devant la nation comme un ennemi public,

    effet, tant qu’ils ne saisiront pas le défaut de la cuirasse. Ainsi au lieu de frapper en aveugle, que ne cherchent-ils mes faibles, que n’épient-ils mes ridicules, pour me peindre d’après moi ? Ils ont besoin d’aide, je vais leur en donner.

    Depuis longues années, mes amis, témoins de mon insouciance sur l’avenir, et rebutés de me prêcher en vain le soin de ma fortune, me reprochent d’être un animal indécrottable ; peut-être n’ont-ils pas tort : mais ce défaut n’est pas, je crois, celui d’un complaisant prêt à se vendre. Depuis longues années, mes voisins, qui voient que je me refuse le nécessaire pour faire construire des instruments de physique, me regardent comme un original inconcevable : peut-être n’ont-ils pas tort ; mais ce défaut n’est pas, je crois, celui des intrigants qui cherchent à se vendre.

    Je n’ai ni place, ni pension ; jamais je n’en sollicitai, et je n’en accepterai jamais aux yeux des sages du siècle, un pareil désintéressement n’est que sottise, soit ; mais ce n’est pas là, je pense, le fait d’un ambitieux prêt à se vendre.

    Il y a dix mois que je sers la patrie nuit et jour ; mais je n’ai voulu prendre aucune part à la gestion des affaires publiques. Je me suis montré dès le premier instant d’alarme, et je n’ai consulté que mon cœur pour partager les périls communs. Depuis le mardi soir, jour de la prise de la Bastille, jusqu’au vendredi soir, je n’ai pas désemparé du comité des Carmes, dont j’étais membre. Obligé de prendre enfin quelque repos, je n’y reparus que le dimanche matin. Le danger n’était plus imminent, et je voyais les choses un peu plus de sang-froid. Quelqu’importantes que me parussent les occupations d’un commissaire de district, je sentais qu’elles ne convenaient nullement à mon caractère, moi qui ne voudrais pas de la place de premier ministre des finances, pas même pour m’empêcher de mourir de faim. Je proposai donc au comité d’avoir une presse, et de trouver bon que, sous ses auspices, je servisse la patrie, en rédigeant l’historique de la révolution, en préparant le plan de l’organisation des municipalités, en suivant le travail des États-Généraux. Ma proposition ne fut pas du goût de la majorité, je me le tins pour dit ; et pénétré de ma parfaite inaptitude à toute autre chose, je me retirai. Aux yeux de tant d’honnêtes citoyens qui font une spéculation de l’honneur de servir la patrie, ma retraite doit paraître pure stupidité, je le sais ; mais ma proposition n’était pas celle d’un homme dont la plume est à vendre.

    Le plan que j’avais proposé au comité des Carmes, je l’ai exécuté