Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/142

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fatigue, je tourne avec effroi les yeux vers cette mer orageuse sur laquelle voguent avec sécurité mes aveugles concitoyens ; je frissonne d’horreur à la vue des périls qui les menacent, des malheurs qui les attendent ; je gémis de ne pouvoir plus leur prêter une main secourable ; mais dans l’impuissance où le cruel destin m’a réduit, il ne me reste que de vaines réclamations contre les pilotes perfides et barbares qui exposent le navire à périr, et qui m’ont fait jeter à l’eau, en feignant de vouloir apaiser la tourmente.

Parlons sans figure. Martyr de mon zèle pour le salut de la patrie, je ne porterai plus mes réclamations à l’assemblée nationale : les hommes superbes et vains qui se parent des dépouilles du peuple, les hypocrites qui l’égarent, les gens de loi qui lui vendent la justice, les intrigants qui cherchent à l’asservir, les fripons qui travaillent à l’affamer, les scélérats qui s’efforcent de le replonger dans l’abîme, et, pour tout dire, en un mot, les ennemis publics qui dominent le corps législatif se soulèveraient à mon nom seul ; aveuglés par leurs passions, et sourds à la voix du devoir, ils immoleraient sans pitié l’homme intègre qui osa dévoiler leurs noirs projets, et défendre contre eux la cause de la liberté. Qu’ils jouissent de leur faux triomphe, je ne les fatiguerai plus de mes plaintes : c’est à la nation que j’ose les adresser, c’est pour elle que j’ai combattu, c’est pour elle que je me suis fait anathème.

Si elle pouvait oublier mon dévouement, je me soumettrais sans murmure à la rigueur du sort : mais avant de tomber sous les coups de la tyrannie, j’aurai la consolation de couvrir d’opprobre mes lâches persécuteurs ; j’envelopperai ensuite ma tête de mon manteau, et je présenterai le cou au fer des assassins.

L’Ami du Peuple, poursuivi comme un malfaiteur, par le ministère public ! Pourrait-on le croire, si le ministère public n’était composé des ennemis du peuple ? Ce qui doit le plus affliger un homme de bien, victime de sa vertu, ce